Synopsis : El Bola est un garçon de douze ans prénommé Pablo, élevé dans une famille taciturne et sordide. Honteux de ce contexte familial, il évite la communication réelle avec ses camarades de classe, et préfère se livrer avec eux au jeu extrême de « la bouteille », consistant à attraper l'objet placé sur des rails au moment fatidique du passage du train.. Grâce à l'arrivée d'un nouvel élève dans son école, il découvre l'amitié et une famille où la communication et l'amour prédominent. Il a alors le courage d'accepter sa situation et de l'affronter.
El Bola (Achero Manas- 2001) est d'abord un reflet profond, quasi intime, du jeune cinéma espagnol des années 90, doublement issu de la période de libération morale et culturelle ayant suivi la mort de Franco en 1975, et de l'impulsion de l'œuvre de Pedro Almodovar. Cette Movida est toute entière derrière El Bola, premier film du madrilène A. Manas, dont l'esthétique proche du documentaire, et bien sur la thématique forte (l'enfance maltraitée) mais filmée avec retenue et pudeur, lui vaudront d'être multi-récompensé (4 Goyas 2001, European Film Award, Prix OCIC de San Sebastian, etc.).
Sans rien connaitre du film, que nous disent les affiches ? L'affiche espagnole originelle s'enrichira de la mention des prix reçus mais demeure un modèle de simplicité graphique. C'est d'abord un visage d'adolescent très dur, coupé en deux, aux teintes délavées, à la violence encore relevée par la trace de coups et un pansement au dessus de l'œil. Un appel aux sens du spectateur puisque ce visage apparait immédiatement comme celui d'une photo issue du genre documentaire, quelque part entre une photo d'identification judiciaire type et un portrait de la jeunesse délinquante. Le résultat inconscient fourni la même donne : un sentiment d'isolement, de violence latente, de maturité forgée dans l'adversité quotidienne, caractère que l'on rapprochera ici de la notion d'enfermement psychologique, puisque les rares couleurs (noir, blanc et jaune/vert) nous ramènent encore à l'univers glauque et froid du carcéral. On déduira du titre énigmatique mais brisé, cassé et instable, que cet « El Bola » et ce visage dur ne font qu'un : une boule au fond de la gorge, ou un renfermement sur soi, dans un cercle vicieux social ou familial instauré comme un piège infernal...
A ce stade de la réflexion, on serait tenter de se remémorer des affiches « voisines », celles où un adolescent semble y affronter une solitude désespérée : Le Kid (Ch. Chaplin - 1921), Les Quatre Cents Coups (F. Truffaut - 1959) ou L'enfance nue (M. Pialat - 1967) en sont de parfaits exemples, qui permettent à l'évidence de cerner la dramatique thématique de la maltraitance infantile, « symbolisée » sur l'affiche par la mention discrète du logo de l'Unicef.
L'affiche française devient plus explicative mais préserve sa construction de base : teintes froides et chaudes se répondent sur une logique chromatique inhérente au polar. La typographie du titre se modifie mais conserve sa connotation de dureté et de violence semi-documentaire qui peut d'ailleurs suggérer de fausses pistes (s'agit-il d'un enfant des favelas ou de la description d'un milieu mafieux pré-adolescent ?). On remarquera l'effet « machine à écrire » de l'accroche explicative, teintée de rouge, qui suggère autant une explication du titre (de l'enfant à son secret...) qu'un renforcement de la connotation socialisante (la machine à écrire évoque l'écriture du scénario, la nervosité des « caractères », la déposition d'un témoignage ou d'une plainte, etc.). El Bola est un coup sanglant porté au visage (au niveau du front), qu'il vient heurter et traverser visuellement alors même que celui-ci est amputé de sa partie droite (le sens positif en esthétique visuelle). Outre un arrière plan totalement flou et dénaturé, il y a donc un double jeu de miroirs brisés entre le texte et l'image : si l'un et l'autre sont censés se répondre, s'expliquer, se correspondre au premier abord, on remarquera surtout que tout, en vérité, les oppose. La chaud contre le froid, la multiplicité contre l'unicité, le décrit contre le contenu (visage fermé), le surnom El Bola contre la véritable identité sociale...
L'affiche récente du film La Zona, propriété privée, paru en 2008 (voir l'étude sur ce blog : http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/article-19077916.html) offre un parallèle troublant à celle française d'El Bola : même construction de l'image, même visage coupé verticalement, même teintes, etc. Les deux films abordent notamment la notion d'espace, de frontière et de délimitations du cadre de vie, obstacles de la ville et de la société ici opposés à la liberté naturelle du jeu et de la vie des adolescents.
Toute l'habileté du film d'Achero Mañas, on l'a dit, est d'avoir choisi, afin d'éviter tout didactisme ou sensationnalisme, de montrer le drame d'El Bola de l'extérieur, en ne nous révélant que progressivement son terrible secret. Le drame préexiste au film dès l'affiche et la mise en scène va en quelque sorte s'en faire le révélateur, se contentant de lever progressivement le voile en distribuant un certain nombre d'éléments de signification dans le récit, créant par là un véritable suspense ou hors-champ.
L'affiche décryptée comporte par conséquent toute une série d'indices qui correspondront immanquablement à ceux du film : ils interviennent comme autant d'exercices actifs de compréhension et de déchiffrement du (futur) message filmique qui, pour irréductible qu'il soit à une seule interprétation, ne se prêtent pas moins à une ou plusieurs lectures en fonction du thème choisi. On en déduira toutefois une mise en œuvre particulièrement significative du point de vue de la violence implicite contenue dans le film : dès le titre, un lettrage déchiré, comme un récit endeuillé ou interrompu, ou comme une enfance instable et violentée, à laquelle on aurait ôté toute envie de sur-vivre... L'affiche instaure en vérité un climat de « cruauté mentale » plus que de violence psychologique : elle installe la prééminence d'un impact émotionnel choquant (littéralement et dès le visuel, un « coup d'El Bola ») qui ne nous quittera pas avant la dernière image, comme une itinérance crescendo, d'une image muette à une autre parlante (le plan de la dernière scène du film, celui de la confession de l'enfant, donne la clé visuelle de l'affiche), permettant aussi et enfin de dépasser le non-dit.
Pistes complémentaires :
dossiers pédagogiques :
- http://www.cndp.fr/actualites/question/elbola/accueil.htm
- http://www.abc-lefrance.com/fiches/elbola.pdf
- http://www.pedagogie.ac-nantes.fr/58944812/0/fiche___ressourcepedagogique/&RH=1163345011890