5. Faire du neuf...
Le Cinéma est à la fois une industrie, un produit de consommation et une
œuvre
artistique : c’est incontestablement un lieu de la répétition, de la re-mise en scène des grandes « ficelles » scénaristiques, des mythes et des archétypes liés à chaque Genre cinématographique et/ou
littéraire. Le Cinéma est un moyen d’expression qui doit se nourrir de son passé comme de celui des autres médias pour construire son présent. Ce désir d’immédiateté, lié à la relance de
l’attente chez le spectateur, oblige les agences de publicité a piocher régulièrement dans le « déjà vu » en guise de recyclage artistique. Le nombre croissant de films, de
livres, de musiques et de jeux vidéo a aussi incité les publicitaires à se servir des anciens produits d’appel, en les transformant en valeurs désormais assurées... sur l’avenir de leur nouveau
produit.
A l’évidence, l’affiche de film n’échappe pas à cette règle et l’on verra notamment (cf. chap. 4) comment, entre reprises volontaires et détournements parodiques, l’affiche se fait doublement mémorative et innovante. Pour prendre un exemple récent, comparons les deux affiches de Cœur des hommes (M.Esposito - 2003) et de Célibataires (J.M. Verner - 2006) : voici exposé tout l’art de l’affichiste, c’est-à-dire ce jeu permanent qui peut exister entre ressemblances et analogies, l’intelligibilité humaine devant établir une construction référencée suffisamment inconsciente pour ne pas accuser l’affiche de plagier une « autre chose ». Ainsi, ici et dans film à l’autre, certains éléments sont identiques (les sourires complices, la nature, les teintes ou le genre « comédie sentimentale »), d’autres référencés (l’attitude et l’âge des personnages, le titre écrit en blanc) et enfin quelques uns innovants (présence de l’élément féminin).
Dans de nombreux cas, les similitudes seront peu évidentes en raison de l’ancienneté de la première affiche-référente ou de sa méconnaissance pour le grand public. Ainsi, l’on ne pourra pas
s’empêcher de voir dans l’affiche du film humoristique
The Black Bird
(D.Giller -1975) un ensemble de références repris par le réalisateur Steven Spielberg : le
designer
de l’affiche de ce film d’aventures parodique n’est autre que
Drew Struzan,
futur complice du réalisateur
des Indiana Jones dont il
réalisera les affiches (voir chapitre consacré) et dont l’aventurier type est déjà figuré ici avec le personnage de Sam Spade Junior, interprété par un George Segal lui-même dédoublement ironique
de Humphrey Bogart dans le classique de 1941 (le Faucon Maltais de J.Huston). Si l’on rajoute à celà le fait que l’un des films de Segal s’intitule L’homme Terminal(M.Hodges -1974), on sera
surpris de voir les liens qui peuvent être tissés entre les affiches de films à priori assez éloignés pour un œil peu exercé comme Les aventuriers de l’arche perdue (1981), Arrête moi si tu peux (2002) ou le Terminal (2004). Bien sur, une fois connue la grande cinéphilie de Spielberg et la créativité à la fois de son œuvre et de ses collaborateurs récurrents, on devinera un peu plus aisément la
filiation… Spielberg ne cherche pas non plus à dénier ses influences en faisant créer par l’immense poster designer Bernis Balkind le visuel de son
Terminal, sachant pertinemment
que la présence de Tom Hanks, l’archétype du personnage attachant et débrouillard ainsi que la thématique du voyage étaient indissociables du visuel
multi-primé de Forrest Gump (R.Zemeckis - 1994), lui aussi réalisé par Balkind.
Les passerelles entre les affiches sont aussi démultipliées que les affiches elles mêmes, du fait du grand nombre de personnes impliquées dans leur création ; là comme ailleurs, on a aussi
tendance à reproduire ce qui a déjà fait ses preuves ailleurs : ainsi, dernièrement (sur la période 2002-2006), on a vu apparaître des pré affiches
et affiches montrant les personnages de dos, diminuant donc d’autant l’ego des stars au profit d’une esthétique plus affirmée : films français (Un long dimanche de fiançailles (J.P. Jeunet -
2004) et américains (Le dernier samourai (E.Zwick - 2003), Traqué W.Friedkin - 2002), SWAT (C.Johnson - 2002), Le Seigneur des anneaux :
les deux tours (P.Jackson - 2002), Le nouveau monde (T.Malick - 2005)) ont suivi le même chemin, soit pour susciter l’attente du
spectateur, soit pour le plonger dans une ambiance inquiétante. Le syndrome de « l’arrivée imminente et annoncée » est d’ailleurs la marque de fabrique la plus mise en avant
actuellement sur les affiches, de paire avec le nom des acteurs et le jeu de regards échangés entre nous et l’imaginaire figuré.
Le design originel provient du western crépusculaire Impitoyable (C.Eastwood - 1992).
Parfois, comme on l’a dit, ce jeu de ressemblances est parfaitement intentionnel et émane du réalisateur lui-même : Roman Polanski pour son remake d’Oliver twist en 2005 s’est inspiré du visuel de La guerre a 7 ans (Hope and Glory) de John Boorman (1987) ; le visuel du film Piranha (J.Dante - 1978), largement inspiré des Dents de la mer (S.Spielberg - 1975) en copie aussi le design originel. On reparlera dans deux chapitres consacrés (chap. 4 et 5), à la fois des parodies et des logos titres, sujets à détournement parfaitement volontaires ; toutefois, on peut citer ici en exemple les’affiche de Monty Python, sacré Graal ! (T.Gilliam - 1975) et de Deux heures moins le quart avant J.C. (J.Yanne - 1982) dont les visuels et accroches renvoient certes à Ben Hur (W.Wyler - 1959) mais aussi à l’affiche du Roi des rois (N.Ray - 1961), elle-même issue du design du classique précédent…
Ce jeu de références est l’essence même du secteur publicitaire depuis plusieurs décennies, mais il est accompagné dans le 7ème Art par ce recyclage permanent des mythes, des enjeux et de l’histoire qui en est le principal moteur. La tentation est grande pour les agences ou le movie poster designer de se démarquer, de s’affranchir des règles pour s’engager dans la création pure, ce qui arrive heureusement assez souvent : toutefois, devant la profusion de visuels (affiches, couvertures de livres ou de cd/dvd), demeure la volonté de créer, on l’a dit, un style à la fois propre à servir un éventuel marchandising, et pour autant basé sur une imagerie du « déjà vu ». Cette démarche artistique, politique et sociale doit très peu au hasard, mais l’on peut se demander à juste titre si les affiches actuelles s’adressent à des spectateurs de plus en plus habitués à décoder les signes, à repérer les analogies, bref à faire de l’analyse d’images au sens donné par la sémiologie, ou au contraire à un public info-zappeur avide simplement de nouvelles images. C’est bien d’un œil critique à un autre qui ne l’est pas que se fait le cheminement et l’ancrage de l’image : outre les canons de la beauté, très variables, l’affiche doit tirer de sa propre vision un équilibre avant tout esthétique (la forme) puis être référencée de manière subtile (le fond). Classique, provocante, aguicheuse, novatrice ou passe-partout, l’affiche se doit de plaire et d’être aimée, d’engager la personnalité du film à venir : en clair, l’affiche est « vendeuse » (bankable) ou non...