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18 mai 2008 7 18 /05 /mai /2008 13:57

Synopsis : Mononoke Hime (Princesse Mononoke) est un récit épique et bouleversant se déroulant au Japon de l'ère Muromashi (XVème siècle). Il nous conte l'histoire du jeune Prince Ashitaka qui, frappé d'une malédiction mortelle, doit quitter son village dans l'espoir de trouver une réponse à son mal auprès du Dieu Cerf. Dans sa quête, Ashitaka sera témoin d'un conflit et s'impliquera dans la guerre cruelle que se livrent les humains et les dieux de la forêt. Ce conflit entre nature et civilisation est symbolisé par la lutte sans merci opposant San, jeune fille élevée par les loups et qui se fait appeler princesse Mononoké, à Dame Eboshi, chef du clan des forgerons et responsable de la destruction de la forêt. Ashitaka s'efforcera de concilier les intérêts de chacun. En vain... La guerre sera menée à son terme et le monde s'en trouvera à jamais changé.

 
  Paru en 1997 au Japon et en 2000 en France, le film d’Hayao Miyazaki, somme de trois années de travail pour les Studios Ghibli, est certainement l’une des œuvres les plus abouties qui soient, aux thématiques et mythologies éternelles : l’initiation adolescente par paliers d’épreuves, une dualité Bien/Mal dépassant le simple manichéisme, l’affrontement entre les forces telluriques et celles biologiques, la Nature, l’Amour et la Guerre, les philosophies Bouddhiste et Shintoïste...

  


  Le film s’inscrit dans le genre Jidaigeki (drame historique japonais), où fourmillent samouraïs et chevaliers, actes héroïques et batailles spectaculaires, et dont le cinéma d’Akira Kurosawa fut le modèle idéal (Les Sept Samouraïs (1954), La Forteresse cachée (1958), Kagemusha, l’ombre du guerrier (1980)). On notera, à la seule lecture du synopsis, l’évidente importance des thèmes écologiques, chers à Miyazaki et que l’on retrouvent en particulier dans Nausicää de la Vallée du Vent (1984 au Japon et 2006 en France), film où est entamée la réflexion philosophique du réalisateur sur les liens vitaux unissant l’Homme et la Nature.

   

 
  De la genèse du film, on sait que celle-ci fut ancrée dès les années 1970 dans le folklore japonais, mais en écho au conte occidental de la Belle et la Bête (histoire certainement orale aux origines inconnues, et dont la version la plus populaire reste celle de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, parue en 1757 sous une forme abrégée). Une ébauche préparatoire en sera d’ailleurs publiée au Japon dès 1983, dans une version relativement sombre et non destinée aux enfants, puis de nouveau en 1993, dans la perspective d’un film. Ce projet initial devra finalement être profondément modifié, en raison de la sortie concurrente de La Belle et la Bête (G. Trousdale et K. Wise) par les Studios Disney dès 1991 (voir affiche teaser de John Alvin ci-dessous). Face au phénoménal succès du film au Japon,  ces derniers se procureront toutefois les droits de diffusion mondiaux de l’œuvre, en accord avec Miyazaki lui-même, mais tenteront - sans succès - « d’occidentaliser » le jeu des personnages, les dialogues et une partie de la promotion publicitaire, afin de satisfaire un public plus ou moins friand de « simplicité dramatique »… (cf. le site francophone consacré aux Studios Ghibli :
http://www.buta-connection.net/films/mononoke.php).

 

 






Dessins de recherche conceptuelle des Studios Ghibli.





  En regardant l’affiche française, le spectateur qui ne connaitrait pas le film aura certainement et malgré tout le sentiment d’être entrainé dans un univers de conte, mélange visuel du Petit Chaperon Rouge  (voir
http://fr.wikipedia.org/wiki/Petit_Chaperon_rouge), de la Belle et la Bête, du Livre de la Jungle (R. Kipling - 1894) et des différentes histoires d’Enfant(s) Sauvage(s) (F. Truffaut - 1970), véridiques cette fois-ci. Cette jonction entre réalité et Merveilleux se retrouve visuellement dans un dessin relativement réaliste, dans la gravité du visuel (appuyée par la démesure du loup blanc, la présence du couteau et le sang barbouillant le visage de l’adolescente), ainsi que dans la présence discrète de mère-nature (visible sur le dessin originel de Miyazaki, autant que sur l’affiche japonaise, finalement recadrée dans sa version française).

 

 

  La mythologie inhérente à l’histoire ne ressurgira qu’après coup, entre les vêtements connotés de celle que l’on suppose à juste titre être la princesse Mononoké annoncée (titre traduisible par « princesse aux esprits », San se présentant comme la « princesse des spectres »), le masque et les peintures rituelles (de guerre) et un loup/louve légendaire à rapprocher thématiquement de la louve romaine de Romulus et Rémus, enfants eux-mêmes abandonnés de l’Homme et recueillis par la Nature. Le lien entre l’adolescente, la nature et la déesse-louve (Moro) est prédominante, et présenté d’office comme la pierre tri-angulaire du sujet du film : la scène imagée sur l’affiche sera l’une des scènes clés du long métrage, lorsque le prince Ashikata rencontre pour la première fois San et ses loups… On  remarquera enfin la présence insistance de la couleur rouge, annonciatrice de violence, de passions, de souillure et de purgation, qui est mise en relation dès la graphie du titre avec une blancheur idéalement pure et innocente.

 

 


 La version américaine de l’affiche, coproduite par Disney/Miramax, illustre finalement un film très différent : l’accroche insiste sur la seule thématique épique et guerrière, inscrite dans un monde crépusculaire et barbare de fin des temps, tandis que le bouclier gravé et les défenses de ce que l’on perçoit faussement comme un oppidum celtique digne de la Guerre des Gaules finissent d’ancrer le film dans une Histoire qui n’est pas la bonne, présence semi-anachronique d’une Princesse Mononoké oblige ! Les principales clés du film (conte référencé, écologie, philosophie, traditions religieuses) n’y sont pas représentées, au seul profit du message initiatique type d’un univers d’héroic-fantasy, et dans un design qui respecte les lois de ce seul dernier genre.

 



 Pour la sortie DVD vidéo, la promotion héritera d’un visuel totalement décalé, où ni les thématiques ni la princesse titrée ne sont illustrées, et où l’amalgame avec Star Wars (pour les sabres lasers et les influences stylistiques asiatiques ?) sombre dans le ridicule publicitaire, sinon la pure tromperie marketing. On comprendra, dès lors, que pour le grand public, l’Anim’ japonaise soit un terrain permanent de mésentente et d’incompréhension, largement  ouvert au flanc de la critique. Le public français  en particulier aura trop longtemps était totalement sous-informé vis à vis des qualités plastiques, scénaristiques et thématiques pourtant fulgurantes dans les chefs-d’œuvre en série produits par les Studios Ghibli, films issus des années 1980 et 1990, et qui mettront parfois plus de dix ans à être ainsi re-découverts en Europe.

 

 

 Pour compléter l’analyse du film, ou retrouver certains visuels en grande taille :

 

http://www.cinelegende.fr/archive/programme2008/livret/livret_mononoke.pdf

http://www.buta-connection.net/films/mononoke.php

http://www.buta-connection.net/galeries/galeries.php?cat=Princesse%20Mononoke

 

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16 mai 2008 5 16 /05 /mai /2008 17:43

Synopsis : Rand Peltzer offre à son fils Billy un étrange animal : un mogwai. Son ancien propriétaire l'a bien mis en garde : il ne faut pas l'exposer à la lumière, lui éviter tout contact avec l'eau, et surtout, surtout ne jamais le nourrir après minuit... Sinon...

 
  Joe Dante fait un cinéma singulier et hybride : ayant touché à chacune des principales cordes du métier de cinéma (critique, scénarisation, réalisation, animation, montage, production, etc.), passionné de bandes dessinées, de séries B et Z et de films d’horreur (style dont seront issus ses premiers films et notamment Hurlements en 1981 : voir affiche ci-dessous), il fut finalement le parfait continuateur du style Roger Corman, dont il fut l’un des élèves dans les années 1970, aux côtés de Martin Scorsese, Ron Howard ou Francis Ford Coppola. C’est grâce à Steven Spielberg que Dante pourra livrer sa vision de Gremlins, en dépit de tumultueux enjeux de production avec les Studios Warner.

 


 
Le film, sorti le 8 Juin 1984 aux Etats-Unis, sera un immense succès populaire, qui poussera son réalisateur à en livrer un second opus le 15 Juin 1990 : celui-ci, malgré ses qualités, sera un échec, et Joe Dante est alors licencié des studios Paramount, nouveaux producteurs du réalisateur depuis 1985. En 1998, avec Small Soldiers, Joe Dante donne une nouvelle déclinaison thématique des Gremlins, lorsque des jouets-soldats deviennent de véritables figurines d’action vivantes.

 

 
 Pour l’affiche américaine, Spielberg et Dante font appel au designer confirmé John Alvin (voir sur ce blog l’article consacré et les liens associés :
http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/article-18324468.html) et aux studios Intralink Film Graphic Design, tous ayant collaboré sur l’affiche mythique de E.T. en 1982. Gremlins se devant d’être un film « tout public », l’affiche fait la part belle à l’imaginaire issu du Conte, du Fantastique et du Merveilleux, baignant dans une halo bleuâtre que l’on sait être idéalement associé à ce concept (voir sur ce blog : http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/pages/Chapitre_4__Reprises_et_detournements__laffiche_mise_en_abyme_partie_1-406967.html). Seule l’accroche (en VO et VF : « Mignons. Malins. Méchants. Intelligents. Dangereux. ») en réfère au danger potentiel représenté par ces créatures pelucheuses dignes des Ewoks du Retour du Jedi (R. Marquand et G. Lucas - 1983 ; les créatures réapparaissent dans un téléfilm américain en 1984). On remarquera aussi que, par bien des aspects, l'affiche de Gremlins est en quelque sorte une version édulcorée du visuel de Hurlements, visible plus haut.

 

  Dans le folklore américain traditionnel, les Gremlins sont des lutins farceurs versés dans la mécanique et les technologies et,  comme l’évoque le lien suivant (http://erzy.centerblog.net/3777265-Les-Brownies-et-les-Gremlins), « leur nom a été forgé par des aviateurs britanniques en poste sur la frontière nord-ouest de l'Inde durant la dernière guerre mondiale, à partir de la marque de bière Fremlin's, dont le F fut remplacé par le G des Frères Grimm ». D’où l’association à un univers de contes et légendes emprunt d’un mélange iconoclaste de noirceur, de farces potaches et de cruauté sadique digne d’une série B ou Z en horreurs diverses, le tout ayant donné lieu à un concept alternatif et subversif de l’affiche originelle. Pour la petite histoire, on trouve encore trace de ces Gremlins sur l’illustration d’un livre jeunesse du célèbre écrivain gallois Roald Dahl (1913-1990 ; Charlie et la chocolaterie, Matilda, James et la pêche géante) : aviateur en 1943, il écrit une histoire initialement prévue pour un projet de film d’animation de Walt Disney,  avorté au profit d’une seule série de comic books, qui inspirera au final Joe Dante.

 

 



 On notera à l’évidence que le design de John Alvin place le mystère au cœur de l’univers construit en une nouvelle mythologie contemporaine (voir le concept de légendes urbaines) : le héros, ce n’est pas l’humain ou l’adolescent (visage caché), mais bien la créature-jouet. La boite de Pandore, ré-ouverte, est prête à faire se rejoindre notre curiosité, notre goût prononcé pour les destructions et effets spéciaux à grande échelle et notre espérance… que tout se finisse bien ! Si l’humain est bien le responsable principal, désigné anonymement en tant que véritable apprenti-sorcier ingénu, on peut se demander si le cinéma de Joe Dante n’interroge pas à vrai dire le spectateur sur sa capacité à apprécier ou non le spectacle simple du vivant, cinéma compris, sans en faire un jouet industriel et mécanique complètement dénué d’âme. Tout ne doit pas être dévoilé, et les règles de vie élémentaires sont là pour être respectées : telle est la morale du film, décryptable dès l’affiche.

 

  L’affiche française reprendra le design à l’identique, transposant juste l’accroche dans une taille plus lisible.

 

 

 En 1990, Gremlins 2, la nouvelle génération déplace l’univers originel à New York, ce qui permet à Dante de multiplier les scènes parodiques et référentes (à Rambo, Le fantôme de l’Opéra,  New-York, New-york, Qui veut la peau de Roger Rabbit ?, etc.). John Alvin en réalise de nouveau l’affiche, reprenant l’idée de créatures facétieuses à demi visibles, mais aux pouvoirs de destruction ironiquement démultipliés : en prenant le fauteuil et le bureau d’un financier de Wall Street, Alvin et Dante font une critique ouverte (voir les traces de griffes sur le fauteuil en cuir) des « décideurs » des Studios hollywoodiens, aux égales capacités de destructions artistiques selon eux ; « il faut se souvenir des règles », nous rappelle l’accroche, c'est-à-dire suivre les fameuses studios guidelines et les exigences morales dictées par Hollywood à chaque œuvre produite (voir sur ce blog :
http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/pages/Chapitre_2__Sexe_mensonge_et_publicite_partie_4-395905.html). On comprend dès lors, que la recherche de financements alternatifs et d’un cinéma indépendant aient été, pour Joe Dante, une ligne de conduite permanente, style dont on trouvera aisément la naissance à l’école de Roger Corman.

 

Autour de Joe Dante, on poursuivra la discussion sur le site Cinétudes et le forum associé :

 

http://www.cinetudes.com/Joe-Dante-et-les-Gremlins-de-Hollywood_a94.html

http://cinetudes.nuxit.net/viewtopic.php?t=98

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7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 19:06

  Synopsis : L’histoire d’une jeune fille Iranienne, Marjane, pleine de rêves. A huit ans, elle est encore choyée par ses parents et grands-parents, lorsque sa vie bascule suite à l’instauration de la République islamique. C’est le début du temps des « commissaires de la révolution », qui contrôlent tout et notamment les tenues et les comportements. La jeune iranienne doit faire face à ce bouleversement, amplifié par la guerre contre l’Irak. Bombardements, privations et perte de ses proches : dans un contexte de plus en plus pénible, Marjane finit par s’affirmer et à entamer une certaine rébellion. Ses parents choisissent alors de l’envoyer en Europe… Elle y découvrira la solitude, la liberté, l’amour et la différence.

 

   Quadruple roman graphique au succès récent, auréolé de nombreux prix littéraires, l’histoire autobiographique de Marjane Satrapi frappe avec le même impact satirique le spectateur de 2007. Le film d’animation, réalisé en commun avec Vincent Paronnaud, est traité sur l’équivalent graphique de la bande dessinée : un style épuré en noir et blanc et un ton incisif, placé entre caricature et semi-réalisme, à la manière du dessin de presse.

   La vie de l’auteur et l’aspect carnet intime des albums comme du film en font une galerie de portraits, une suite de silhouettes tantôt rassurantes, tantôt sinistres...

 



 
 L’affiche française (design de l'affichiste Pierre Collier d'après les dessins de Marjane Satrapi) est la traduction de cette réflexion sur une vie de famille idéalisée par les souvenirs d’enfance. L’influence et la relation aux parents comme à une grand-mère vénérée aux côtés de laquelle se place Marjane Satrapi sont immédiatement perceptibles. Il n’y a, par conséquent, aucune présence sur l’affiche d’une quelconque violence, ni physique ni psychologique, ni évocation d’un poids historique, politique ou religieux. Ce qui doit frapper, quand on connait l’œuvre mise à l’affiche, c’est le contraste entre la réalité d’un véritable état policier et la sérénité très occidentale (immeubles en arrière plan, pas de signes religieux ou ethniques, ni de vêtements traditionnels) d’une famille montrée comme irrésistiblement unie. Le titre Persépolis (du nom de la capitale de l’Empire Perse Achéménide, du VIème au IVème siècle avant J.C.) s’en réfère de la même manière à un univers fédéré et uni, mais dont la destruction (par Alexandre le Grand en 331 av. J.C.) est seule annonciatrice de la fin des temps. Marjane Satrapi, enfant confiante, seule habillée en blanc et noir, face à un monde adulte plus sombre et monolithique, illustre physiquement ce brusque glissement d’une époque à une autre. Noir et blanc, encore, pour le titre et le fond de l’affiche, pour le rapport entre rêve (bleu…), souvenir et réalité.

 

 
 



   Il est intéressant de constater les modifications apportées dans la version américaine de l’affiche : outre les mentions de critiques élogieuses et du prix de la sélection cannoise, c’est le  choix du recentrage sur la famille, et par conséquent la disparition de l’arrière-plan urbain visible sur la version française.

  Est-ce à dire que pour le spectateur anglo-saxon lambda, l’adéquation thématique entre Proche-Orient et urbanité est uniquement signifiante de « terrorisme », dans un cinéma désormais post 11 Septembre 2001 ? Une seconde version américaine de l’affiche nous en apporte une réponse engagée : l’accroche virulente (Le film que l’Iran ne voulait pas laisser voir au monde), le choix de montrer Marjane Satrapi (enfant) en opposition/rébellion avec le cercle intime familial tout autant qu’avec les conventions sociales et religieuses traditionnelles, dans une pensée (adulte) désabusée mais résolument féministe (les yeux ouverts et la cigarette-crayon à la main, dans une reprise directe d’une scène du film), nous désigne Persépolis comme l’équivalent des Versets Sataniques de Salman Rushdie : un pamphlet révolutionnaire, traduit par le vêtement rouge porté par l’auteur sur cette version, en accord avec le personnage dans le film, et à la différence de la version album, uniquement en noir et blanc… Le choix d’acteurs connus pour leurs différents engagements politiques (Sean Penn en tête) va dans le même sens.

 Dire de Persépolis que c’est une œuvre engagée, donc, est un faible mot : la voix des femmes est assurément plus directe que celle des hommes, en Art comme en politique, et Marjane Satrapi n’a pas la langue dans sa poche… La force de son graphisme, comme l’affiche l’indique, c’est aussi de resituer son combat dans le souvenir et la perspective historique, de le faire avec un humour frondeur et une lucidité désarmante, et finalement de vaincre ainsi triplement (la seconde affiche américaine nous montre du reste trois fois l’auteur) les derniers préjugés avec l'énergie de son "réalisme stylisé".

 

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7 mai 2008 3 07 /05 /mai /2008 13:11

  Synopsis : Janvier 1944. Julien (11 ans) et son grand frère François regagnent leur collège des Carmes à Provins après les vacances de Noël. Un nouveau, Jean Bonnet, est introduit dans la classe et se fait un peu rejeter par le groupe, l'orgueil de Julien étant en particulier exacerbé par les brillants résultats scolaires du nouvel élève….

  Les deux garçons, que rapproche un égal amour de la lecture, se trouvent un soir isolés lors d’un grand jeu de piste se déroulant dans la forêt bien après l’heure du couvre-feu. Ils sont ramenés au collège par une patrouille allemande. Dès lors ils se sentent plus proches, mais Julien cherche à percer le mystère de la différence de Bonnet…

 

 


 
 En réalisant Au revoir les enfants en 1987,  Louis Malle cherchait à rendre hommage et justice à cette partie troublée de sa propre enfance, quarante-trois ans après le moment traumatisant qui l’avait rendu témoin, dans le collège où il était pensionnaire, de la rafle par la Gestapo des trois enfants Juifs et du prêtre qui les cachait. On admirera ainsi le paru d’un cinéaste, qui, à l’instar de Roman Polanski sur le Pianiste (2003), réussit à transcender l’argument de base de l’illustration nostalgique, au profit d’une vraie leçon de cinéma, en déformant la stricte réalité historique à des fins dramatiques et thématiques supérieures artistiquement parlant.

 Un détail important, outre la vision d’un monde psychologiquement et physiquement, injuste, inégal, complexe et arbitraire, est cette volonté de traduire à l’image, en accord avec le chef-opérateur Rénato  Berta, un film « en couleurs mais sans couleurs » : n’émergent d’une grisaille de temps de guerre, rappelant les tons sépia donnés à sa Liste de Schindler par Steven Spielberg (1993), que le bleu foncé et le marron, qui renforcent d’autant l’aspect foncièrement policier et militaire de la période.

 

 


  Ce décor en demi-teintes, annexé aux graves visages diaphanes des adolescents, impose une atmosphère incontournable dès l’affiche : drame historique dans tous les sens du terme, où le monde, subitement divisé aux yeux des adolescents en deux camps opposés (noir et blanc) reflète par leur mise dans la lumière leurs propres peur et anxiété. La photo choisie est extraite du moment clé du retour de la forêt, lorsque, escorté par deux soldats allemands, Julien comprend que son ami est Juif. Sur cette scène d’une grande émotivité, le titre inscrit en blanc sur fond noir pèse telle une épée de Damoclès et un sombre euphémisme : si cet « au revoir » sonne à l’évidence comme un « adieu » tristement annonciateur, la graphie (choisie dans une police non-référente de ce climat) du titre incite toutefois le spectateur-lecteur à y voir autre chose, à savoir le plus optimiste « revoir les enfants » (le mot revoir étant positionné entre les lettres l et f). Ces trois mots sont mis en reflet avec la mention quasi autobiographique « un film de Louis Malle » : le cinéaste témoigne, revisite l’Histoire et sa propre histoire, et re-voit littéralement ces enfants disparus. On n’exclura pas la dimension religieuse contenue dans les paroles prononcées par le Père Jean : « au revoir les enfants », c’est aussi selon lui la promesse d’une rencontre prochaine au Paradis après l’épreuve suprême de la mort, à court ou long terme (voir l’affiche et le titre voulu par Roberto Benigni pour La Vie est belle en 1997).

 

 
   
Le film comme l’affiche forment un tout intime, marqué par le choix du gros plan, placé entre réconfort et menace (dans la logique dramatique, le couple initial ne peut qu’être rendu divisé), que ne viennent perturber ni les noms des acteurs, ni les classiques mentions de responsabilité, ni une accroche inexistante, ni même le logo des studios de production. Car en portant le regard sur la tragédie et en mettant un visage d’enfant sur la responsabilité collective inhérente à cette partie de l’Histoire Contemporaine, Louis Malle nous la rend accessible, intime et, à vrai dire, d’autant plus insoutenable.

 

«  Il était différent, secret. J’ai commencé à le connaitre, à l’aimer, quand, un matin, notre petit monde s’est écroulé. » (Louis Malle - Extrait du dossier de presse).

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5 mai 2008 1 05 /05 /mai /2008 18:07

  Synopsis : Phil Connors, journaliste à la télévision et responsable de la météo part faire son reportage annuel dans la bourgade de Punxsutawney où l'on fête le "Groundhog Day" : le "Jour de la marmotte". Dans l'impossibilité de rentrer chez lui à Pittsburgh pour cause d'intempéries, il se voit forcé de passer une nuit de plus dans cette ville perdue. Réveillé très tôt le lendemain, il constate que tout se produit exactement comme la veille et réalise qu'il est condamné à revivre indéfiniment la même journée, celle du 2 février...

 
  Un jour sans fin
(Harold Ramis - 1993) se livre à priori aux spectateurs comme une banale comédie recyclant le thème très littéraire puis très cinématographique du voyage dans le temps ; on n’imagine guère, d’ailleurs - et assez curieusement - de côté sombre ou pessimiste à une histoire (…sans fin ; voir le film homonyme de W. Petersen en 1984) posée cependant d’office à la fois comme un conte, un récit merveilleux (voir la déformation temporelle dans Alice au pays des Merveilles) et une histoire fantastique contemporaine, avec toute la cruauté que peuvent revêtir chacune de ses formes initiatiques auprès des enfants notamment.

  
  Le paradoxe de la répétition du temps est sensiblement différent de celui qui consiste (en théorie) à pouvoir (ou non) changer le passé : les deux thèmes ont donné lieu à une myriade d’œuvres et de films, à commencer bien sur par les nombreuses variations autour de la Machine à explorer le temps de H.G. Wells (1895). On citera ici (comme références antérieures à Un Jour sans fin) La Jetée (C. Marker - 1962), La Planète des singes (F. J. Schaffner - 1968), Bandits, Bandits (T. Gilliam - 1981), Terminator (J. Cameron - 1984), Peggy Sue s’est mariée (F. F. Coppola - 1986) et bien sur la trilogie des Retour vers le futur (R. Zemeckis - 1985-1990). Viendront par la suite et entre autres Les Visiteurs 1 et 2 (J.M. Poiré - 1993 et 2001), l’Armée des 12 singes (T. Gilliam - 1995 ; inspiré de La Jetée), Minority Report (S. Spielberg - 2002), Prisonniers du temps (R. Donner - 2003) ou Déjà vu (T. Scott - 2006)… On notera également les séries TV Au cœur du temps, Code Quantum, Sliders et Demain à la une.

 
 
  L’affiche promotionnelle américaine
d’un Jour sans fin se distingue tout d’abord par son titre originel (The Groundhog Day) qui exclu donc toute référence immédiate à un thème fantastique ou science fictionnel que seul le visuel amène, via le personnage incarné par Bill Murray (le journaliste Phil Connors) prisonnier d’un énorme réveil-matin. Cette « prison » ne semble pas l’effrayer, bien que le tenant éloigné de sa « fiancée » Rita (jouée par Andy MacDowell), tout autant que la poursuite du Lapin Blanc (et de son réveil…) tient éloignée Alice du monde réel (jusqu’à son réveil…) dans l’histoire de Lewis Caroll (1865). Le design insiste sur le ton de comédie  du film, grâce aux légers sourires complices des deux acteurs, aux teintes pastel, au lever/coucher de soleil et à un décor baignant dans la sérénité (le 2 février marque la fin de l’Hiver). L’accroche ironique (Il est en train de passer le jour de sa vie, encore et encore…) explique brièvement le thème et l’intrigue et raccorde finalement la présence du mot « jour » dans le titre au soleil (levant et couchant) et au réveil-piège. Si le jeu sur la temporalité est instauré comme véritable moteur du film, on imagine également qu’un décompte (des minutes, heures, jours) va être engagé, dans une répétition (de la scène amoureuse parfaite et ultime ?) où le dépassement astucieux de l’individu sera l’unique chemin de la résolution pour triompher du temps. Faire mieux et plus vite, soit l’une des clefs de la réussite à l’américaine, contexte sociétal dans lequel la comédie contemporaine s’ancre volontiers, tel un conte moderne diffusé à outrance par les différents médias (rappelons que le personnage central est journaliste et vient faire un reportage bien « réel » dans un lieu également existant : voir
http://fr.wikipedia.org/wiki/Jour_de_la_marmotte). Nous serons donc, au bout d’un temps et par rapport à ce monde du vrai-faux semblant, avec toute la satire et l’ironie grinçante que cela implique, de « l’autre côté du miroir »…

  

 L’affiche française insiste de son côté sur la fantaisie, le montage et sans doute l’ellipse comme vecteurs du récit autour du dérèglement du temps (et du climat) : le réveil-piège s’est transmué en montre-gousset/chronomètre, et la temporalité est montrée comme démultipliée par le biais d’un arrière-plan flou constitué de pendules. L’accroche est beaucoup plus explicative et répète volontairement 3 fois le mot « jour » ainsi que l’expression-clé « prisonniers du Temps ». Il y a dès l’affiche dans un Jour sans fin à la fois un vertige burlesque référent d’Harold Lloyd (Monte là-dessus ! en 1923 avec sa fameuse scène de l’horloge : voir photo ci-dessous) et cette conception mécaniste du temps, illustrée notamment et toujours dans la veine burlesque par les Temps Modernes de Chaplin (1936, où une énorme pendule rythme les cadences infernales du travail à la chaine). L’accroche française effectue un jeu de mots sur le « temps » et sur le « jour » : synonyme du « durée » mais aussi de « climat » (au jour du passage de l’Hiver au Printemps, et au sein d’une tempête de neige), de « moment », de « période » ou « d’époque » ; « le plus beau jour » de l’accroche est en ce sens le moment idéalisé de la jeunesse et des amours, et donc bien symboliquement  le Printemps.

 

  La vision du temps au sein du (futur) couple perceptible est également re-mise en jeu sur le ton de la comédie légère : on pourrait à ce titre comparer la représentation publicitaire traditionnelle du duo homme/femme dans la comédie sentimentale américaine (voir l’affiche de Pretty Woman (G. Marshall - 1990)) avec celle d’un Jour sans fin, où l’élément perturbateur (le temps) remplace accessoirement l’animal, l’enfant, la vie de famille ou un danger annexe. Cette immixtion dans la vie du couple se fait donc via l’objet représentant la vitesse (la montre-gousset du Lapin Blanc ou le "chronomètre" de la vie affairée des cols blancs américains) et non plus par un objet symbolique de la répétition inhérente à la vie quotidienne (le réveil matin mécanique) : accélération et ralentissement du temps se croisent donc sur les deux variantes de l’affiche, tout comme le personnage d’Andy MacDowell change de position, puisque de femme désirée et attendue in fine (dans une évolution du récit qui la situe logiquement à droite de l’affiche, elle-même en position d’attente amusée), elle devient à la fois source d’une motivation et but explicatif de l’accroche du point de vue du héros : le « plus beau Jour de sa vie », c’est Elle !
   D’où encore, un Temps capital inscrit en lettres majuscules, associé aux mots « Beau » et « Vie » comme signes optimistes : le film est intrinsèquement un récit d’apprentissage, une expérience de vie, un « bon moment » passé sur une durée que nous espérons voir reconduire dans ce rêve de spectateur où ce dernier se glisse lui aussi, de l’autre côté du miroir, et dans la peau des personnages.

 

 

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2 mai 2008 5 02 /05 /mai /2008 19:16

 Synopsis : en ce jour d'automne, les lycéens, comme à leur habitude, partagent leur temps entre cours, football, photographie, potins, etc. Pour chacun des élèves, le lycée représente une expérience différente, enrichissante ou amicale pour les uns, traumatisante, solitaire ou difficile pour les autres. Cette journée semble ordinaire, et pourtant le drame couve...


 


  Eléphant
(
http://www.ac-nancy-metz.fr/cinemav/elephant/), de Gus Van Sant (2003), Palme d’Or et Prix de la mise en scène de Cannes 2003, et Prix pédagogique de l’Education Nationale, est un film s’efforçant essentiellement d’engager le dialogue sur la violence - animale et brutale - de la société contemporaine, placée entre système d’instruction et chemin de la marginalisation. Le titre, opaque, fait référence à la fois au téléfilm homonyme d’Alan Clark sur le drame irlandais réalisé en 1989, à l’emblème du Parti Républicain américain (libéral sur la vente libre des armes à feu), autant qu’à une certaine manière de percevoir les choses (voir à ce sujet la parabole bouddhiste des aveugles et de l’éléphant, chacun n’ayant qu’un  rapport éloigné de la perception de la réalité).  Le film traite du même sujet (la fusillade du lycée Columbine, situé à Littleton dans le Colorado en Juin 1999) que le documentaire Bowling for Columbine de Michael Moore, paru en 2002, et qui enquête plus largement sur le rapport de la nation américaine avec les armes à feu.

 

 Selon le réalisateur lui-même :
"On s'est amusé avec la dimension politique que peut représenter le titre, et donc sa charge satirique envers, bien sûr, l'aspect aliénant du système d'éducation américain. (.) Eléphant, c'est ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure, mais ce que tout le monde souhaiterait bien occulter. " (Extrait de critique parue dans Positif  n°509/510, p. 83-84).

  

 

 Comme le rappelle en outre Alexandre Tylski sur le site Cadrage
(http://www.cadrage.net/films/elephant/elephant.html), il y a dans l’éléphant un fort pouvoir évocateur, tour à tour animal-totem, symbole mystique et culturel aussi sage que sourd, aussi puissant que terrestre et destructeur. On repérera également le taureau noir sur le tee-shirt jaune de l’adolescent présent sur l’affiche (John Mc Farland, joué par John Robinson) : on y verra la reprise directe d’un des symboles espagnols contemporains (logo publicitaire créé en 1956 pour la marque de bière Osborne : voir ci-dessous) tout autant qu’une référence assez précise au Minotaure, puisque l’identification (erronée) du jeune personnage semi-angélique au tueur semble le perdre d’office, aux yeux du spectateur, dans les labyrinthes conjugués de la violence et des passions, du système scolaire et culturel, des structures et des cadres (en particulier le lycée même, longue suite de couloirs entrecroisés), des images et des symbolismes, puis, et par définition, dans l’errance elle-même labyrinthique du jeu des regards.



 

  
S’il existe une certaine adéquation consonantique entre les mots éléphant et enfant, celle-ci ressurgit en une affiche où l’image éthérée et multicolore des adolescents cache le poids d’une psychologie tantôt affichée ouvertement, tantôt camouflée à l’extrême. D’où la symbolique inhérente à un couple jouant le contraste lumière/obscurité (noir/jaune) sur un fond de ciel bleu idyllique, qui se transformera en cible dans une version ultérieure de l’affiche au titre rougeâtre, évidemment beaucoup plus explicite…  Expressions des sentiments, numéros, cases, jeu des vides et des pleins, des « trop » et des « pas assez » y sont la parole même de la cible adolescente.


 

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2 mai 2008 5 02 /05 /mai /2008 18:51

Synopsis : Dans le Mississippi profond, pendant la Grande Dépression. Trois prisonniers enchainés s'évadent du bagne : Ulysses Everett McGill, le gentil et simple Delmar et l'éternel râleur Pete. Ils tentent l'aventure de leur vie pour retrouver leur liberté et leur maison. N'ayant rien à perdre et unis par leurs chaînes, ils entreprennent un voyage semé d'embuches et riche en personnages hauts en couleur. Mais ils devront redoubler d'inventivité pour échapper au mystérieux et rusé shérif Cooley, lancé à leur poursuite...

 

 


 
Comédie atypique des Frères Coen parue en 2000, O’Brother, where art thou ? (
http://www.bacfilms.com/site/obrother/) se base à la fois sur l’Odyssée d’Homère et sur une nouvelle (Douze jobs pénibles) écrite par Howard Waldrop en 1989, qui resitue les 12 travaux d’Hercule en Juillet 1937 dans le Mississippi… La première chose qui interroge dès l’affiche, c’est un titre à la limite de l’incompréhensible : tout juste le spectateur lambda peut-il en saisir une volonté satirique en rapport avec l’accent prononcé du Vieux Sud profond et cajun… Pour les Frères Coen, il s’agit essentiellement d’une fine allusion au film Sullivan’s Travels, comédie satirique de Preston Sturges (1941) dans laquelle un réalisateur, lassé des comédies, décide de créer (en vain…) un sombre film dramatique aux forts enjeux sociaux consacré à la misère, intitulé O’brother Where Art Thou. Il finira par changer d’avis, et revenir à un style plus léger et plus personnel.

  
 La première pré-affiche américaine inscrit partiellement une double lecture du film : le genre policier/film de gangsters /film de bagne (chain gang movie en VO) est faussé par l’allure caricaturale des 3 prisonniers vus de dos, évoquant d’office plus Les Pieds Nickelés que des classiques comme Luke la main froide (S. Rosenberg - 1967), Papillon (F. J. Schaffner - 1973), l’Evadé d’Alcatraz (D. Siegel - 1979) ou Les évadés (F. Darabont - 1994). Si une chaine relie les trois hommes, elle semble d’office réellement plus les entraver en tant qu’êtres humains que constituer un lien de fraternité (contrainte ?) entre eux. La verticalité de la lecture de l’affiche s’oppose à une horizontalité graphique immédiate (les rayures des costumes, la ligne d’horizon), et un décalage ironique est induit entre la présence de 4 noms en tête d’affiche et celle de 3 acteurs uniquement dans sa partie inférieure. L’accroche They have a plan, but not a clue (Ils ont un plan mais pas de repère) introduit  discrètement l’idée d’Odyssée derrière celles de perdition, de dérive loufoque et finalement de Road movie comme genre américain représentatif. L’époque de la Grande Dépression est référencée par les tons sépia donnés à l’affiche, qui la rapproche stylistiquement par exemple du visuel d’Honkytonk Man (C. Eastwood - 1982), dont la trame se déroule à la même période. Le rapprochement avec Les raisins de la colère (J. Ford - 1940) achève cette vision à la fois composite et « carte postale » de l’Amérique des années ’30.

 





  La seconde pré-affiche américaine modifie le point de vue en présentant les trois « trognes » hallucinées des protagonistes, préservant le décalage de par leur fuite éperdue et inutile à travers un champs-océan infini, répondant donc directement à l’accroche (perte des repères). L’ancrage dans l’Amérique profonde est inhérent au paysage représenté, éloigné à l’extrême de toute verticalité urbaine.




  
L’affiche française garde l’esprit décalé da la campagne américaine dans un visuel cependant plus consensuel où les acteurs sont vus de face en pleine action (enchainés et en costume de détenus, en fuite à travers les champs) et en pieds. Le titre est raccourci au profit d’une compréhension plus immédiate de l’accent noir du Vieux Sud (Deep South), qui situe assez rapidement chez le spectateur  (par analogie et mémoire visuelle, sinon par connaissances…) la localisation géographique et la période historique (début du 20ème siècle) propres au film. On remarquera l’accroche gigantesque (Une comédie irrésistible) face à un titre qui se contente de réintroduire les couleurs jaunes et noires, emblématique du prisonnier de bande dessinée (Les cousins Dalton en tête). La mention de la sélection officielle cannoise vaut bien sur celle d’une critique élogieuse aux yeux des cinéphiles. L’accroche (et en particulier le mot « irrésistible ») traduit le non-sens ironique du film : sourire béat sur le visage d’un George Clooney à contre-emploi, proche de l’antihéros, mais dont l’optimisme forcené dans la fuite provoque le rire et la moquerie. Ce qui est irrésistible, dans l’Odyssée comme au Cinéma, c’est le road movie interne de personnages pourtant empêtrés dans leurs propres contradictions : le film des Frères Coen avance du moins autour de 3 caractères aux apparences insouciantes et bucoliques, et en réalité pourchassés et fuyant un contexte économique et social alors dramatique, dont  il est tout aussi impossible de sortir qu’Ulysse dans la Méditerranée selon Homère (sur l’affiche, nos évadés fuient du reste du côté gauche,  symboliquement négatif et « bouché »). Ce qui apparait donc irrésistible de prime abord, c’est la chute finale des personnages, voir le drame surgissant de leur candeur roublarde,  à travers une comédie de genre annoncée en lettres (d’humour) noires !

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27 avril 2008 7 27 /04 /avril /2008 11:00

Synopsis : En 1803, sur les côtes des Cornouailles, Le Kid, un gamin de quinze ans, s'échappe de l'orphelinat où il vivait comme un bagnard. Il ignore son vrai nom et a pour seule richesse la carte d'une île au trésor tombée du livre de Black Mor, un célèbre pirate auquel il souhaiterait ressembler.

  Avec deux pillards d'épaves, Mac Gregor et La Ficelle, Le Kid s'empare du bateau des garde-côtes et se lance à la recherche de la fameuse île à l'autre bout de l'Océan Atlantique. Mais rien ne se passe comme dans les livres de pirates...

  En quête de son identité, Le Kid est plus fragile qu'on ne le croit, et bien des aventures l'attendent avant d'arriver à l'Ile de Black Mor...

 


 

 L’Ile de Black Mor (Jean François Laguionie - 2004) est loin du film d’animation conventionnel : si l’aventure est annoncée de manière traditionnelle, avec tous ses archétypes liés au genre dont elle parait issue, le « film de pirates » lui laissera au final un univers beaucoup plus vaste, entre rêves d’enfance, découverte de l’autre, roman d’apprentissage et couleurs pastel déposées par une double marée de cases de bandes dessinées et de toiles marines de l’Ecole de Pont Aven.

 

  Beaucoup de subtilités et une véritable lecture à plusieurs degrés se distinguent dès l’affiche. Le spectateur y cherchera à l’évidence et de prime abord les références littéraires et cinématographiques maritimes, à commencer par un logo-titre à moitié anglo-saxon et énigmatique jouant sur les consonances (entre mor, la mer en gaélique, et mort), qui en appelle aussi bien à L’ile au trésor (R.L. Stevenson - 1881) qu’à l’Ile Mystérieuse (Jules Verne - 1874) ou encore à L’ile Noire d’Hergé (1938) au titre justement explicite. La forme de l’ile évoquée est, elle aussi, relativement parlante dans l’inconscient collectif : à la fois monde-continent perdu (A. Conan Doyle - 1912), montagne biblique ou mythique (voir le logo des studios Paramount Pictures, repris en ouverture des différents Indiana Jones) et Tour de Babel. On remarquera le côté sombre et volcanique de l’ile, en parallèle aux teintes rougeâtres d’un titre qui cherche à rester dans la tonalité « aventure ». Deux oiseaux et le nom du réalisateur font discrètement pencher la balance sur le versant positif (droit) des lieux qui sera donc bien perçu comme l’enjeu et l’endroit-clé de la résolution finale…


   




  
 Au jeu de la comparaison entre les personnages illustrés (le jeune héros surnommé Le Kid, et le fameux Black Mor, « statue du commandeur » à la silhouette assez proche du véritable Barbe Noire à la barbe tressée et sur le pavillon noir duquel figurait déjà un cœur rouge) et d’autres affiches de films de pirates, on évoquera ici celles de classiques hollywoodiens comme L’aigle des mers (M. curtiz - 1940) ou le Corsaire rouge (R. Siodmark - 1952), notamment pour la position du héros dans les cordages (et à la grande différence qu’il est ici totalement désarmé, ce qu’annonce par ailleurs le cœur rouge du Jolly Roger…). On rapprochera également cette affiche de designs plus récents comme le visuel du pirate Davy Jones pour le 3ème volet des Pirates des Caraibes en 2007 (G. Verbinski) ou ceux des affiches de Pirates (R. Polanski - 1986) et de l’Ile aux pirates (R. Harlin - 1996) pour illustrer à la fois le grand écart stylistique voulu par Laguionie vis-à-vis du film conventionnel, et cette mémoire collective qui réinvente cinématographiquement un genre semi-légendaire

 

 






  Des romans de Joseph Conrad (Lord Jim - 1900)  à ceux de Stevenson en passant par les aventures de Corto Maltese (H. Pratt, dès 1967), enfin, la mer et le destin sont souvent les véritables moteurs du récit : « cachées » derrière un titre volontairement opaque (littéralement « l’ile de le mer noire »), les couleurs d’ambiance et teintes pastel donnent une approche « ligne claire » à l’affiche, et l’on verra à ce titre la comparaison flagrante entre les teintes prédominantes de l’affiche et celles de la couverture de l’Ile Noire d’Hergé. Références au 9ème Art franco-belge du reste contenues d’office dans la mention du producteur (Dargaud-Marina).

 



  
L’ile de Black Mor est un film qui prend le cap pour mieux s’en écarter et déboussoler le spectateur en quête de trésor par trop matériel : un récit initiatique et d’apprentissage par petites touches d'aquarelle, annoncé par une affiche finalement éthérée et elle-même faussement conventionnelle…

 

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2 avril 2008 3 02 /04 /avril /2008 18:28

  

  En avril 1968, lors de la sortie du film de Franklin J. Schaffner, la mode concernant l’affichage publicitaire est encore relativement concentrée sur 3 messages simples : le nom et le visage des principaux acteurs, un titre de plus en plus décliné en logo-titre (notamment lorsqu’il s’agit d’un film de genre) et un assemblage composite et dessiné des grandes scènes chocs du film. Enormément de studios font encore appel à des dessinateurs reconnus, mais il faudra attendre des artistes de la trempe de Saul Bass (design des affiches des oeuvres d’Otto Preminger ou d’Alfred Hitchcock) ou de Robert Peak (design des affiches d’Apocalypse Now, de Superman, Star Trek, Excalibur) pour que des créateurs véritables s’imposent sur la durée…

 

  

   L’affiche originelle
de la Planète des singes (déclinée en 5 visuels) met en avant essentiellement le mystère et le concept d’univers aliénant (« man…hunted…caged… ») issus du roman de P. Boulle.

  Une longue accroche résume l’intrigue du film. On y distingue le logo-titrage Planet of the Apes, création du typographe et logo-designer américain Edward Benguiat, qui sera reprise sur tous les films suivants, y compris le remake de Tim Burton en 2001.

 

 

    

 

 Parallèlement, le message critique du film de Schaffner est évoqué par un visuel pré-promotionnel (one sheet ou pré-affiche) qui détourne malicieusement la célèbre affiche gouvernementale au profit du recrutement (créée en 1917 par le peintre J.M. Flagg)…

 


 

 

     

Pour la promotion internationale, et suite à l’affiche de la première mondiale (ci-dessus, avec la ligne d’accroche « Somewhere in the universe there must be something better than man. »), la 20th Century Fox confie à des artistes locaux le soin de réaliser sur chaque continent des visuels en adéquation avec chaque culture. L’histoire ne retiendra presque aucun nom de ces créateurs anonymes qui œuvraient dans l’ombre des majors (on ignore encore par exemple le nom de l’artiste qui imagina le logo titre du film Le Parrain…).




 

 

En France apparaît ainsi une affiche qui lorgne autant du côté du serial d’aventure, du film fantastique que de la science-fiction. Le logo-titre n’est pas repris tel quel et l’interdiction aux moins de 13 ans y est à peine décelable (coin inférieur gauche)… C’est l’affichiste français Jean Mascii (sa signature apparait en haut à droite) qui réalise ici un travail semi photo-réaliste pour l’avant-plan avec Charlon Heston, au mépris d’un arrière plan plus confus où plusieurs scènes du film semblent se heurter. En comparant cette affiche avec la production de l’époque, on y re découvre des influences visuelles diverses : animalité et monstruosité opposées au monde scientifique humain (La machine à remonter le temps - G. Pal - 1960), paysages extra-terrestres (mais aux aspects terriens…) inconnus, désolés ou dévastés et ciels menaçants (2001, l’odyssée de l’espace - S. Kubrick - 1968), destruction de la race humaine (Le jour où la Terre s’arrêta - R. Wise - 1951 ; Le choc des mondes - R. Maté - 1951) et probable guerre des mondes.

  

 

 

 

 

 

  De même, d’autres genres cinématographiques que l’anticipation semblent ici convoqués : péplum (le héros réduit en esclavage, Heston popularisé par Ben Hur), aventure (un héros au physique proche de Tarzan, western (cavaliers « indigènes » contre héros blanc), horreur (monstres), film catastrophe (fin de l’humanité) et guerre dans une moindre mesure (au moins pour cet épisode de la série). Les différentes ressorties en vidéo donneront lieu par la suite à des relectures réactualisées et plus ou moins habiles du visuel principal.

 

  On retiendra enfin - et pour l’anecdote - de cette première campagne promotionnelle, qu’elle n’oublia pas l’aspect pédagogique puisqu’une affiche spécifique et une plaquette en deux volets furent éditées au profit des enseignants et étudiants désireux de comprendre… le comportement de l’homme !

 

  

  
 

 

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  • : Les affiches de films sont des papillons de la nuit du Cinéma : multicolores, éphémères et éternelles à la fois... Invitation, trace, mémoire d'un film ou d'un genre, l'affiche en tant qu'oeuvre visuelle ne saurait être démentie, mais comment la déchiffrer, qu'en saisir et que nous dit-elle finalement, à nous, spectateurs ?
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