Le passage à la nouvelle année 2014 serait-elle propice aux meilleurs espoirs et aux doux rêves ? C'est ce que semble nous suggérer le 7ème Art en nous proposant La Vie rêvée de Walter Mitty (sortie française le 1er janvier 2014), par et avec Ben Stiller. Ce dernier interprète un employé du célèbre magazine Life : excessivement timide, il s’imagine être le héros d'aventures imaginaires pour s’évader de sa réalité stressante... Les affiches en profitent naturellement pour promouvoir cette double évasion par l'image et l'imaginaire.
Le film est une nouvelle adaptation de la nouvelle The Secret Life of Walter Mitty de James Thurber (1894 - 1961), parue en mars 1939 dans le New Yorker. Cette nouvelle avait déjà été portée à l'écran dans La Vie secrète de Walter Mitty (Norman Z. McLeod, 1947) puis, sous la forme d'une série d'animation, dans Les Vies secrètes de Waldo Kitty (13 épisodes de 30 minutes produits par Filmation et diffusés du 6 septembre 1975 au 29 novembre 1975 sur NBC). Précisons, outre le changement de termes dans le titre entre les versions anglo-saxonnes et française (Vie secrète ou rêvée), que la nouvelle initiale est entrée dans le patrimoine culturel américain sous différents aspects. Le nom de Walter Mitty et le mot dérivé "Mittyesque" traduisent et dénotent une personne inefficace, plongée dans ses rêves , inattentif au monde réel. Plus ou moins inconsciemment, le terme définit aussi celui qui tente délibérément de tromper ou de convaincre les autres qu'il est quelque chose qu'il n'est pas : c'est le fameux mythomane, le Mitty-mytho !
L'histoire aura également une influence notable sur certains grands humoristes, dont le fondateur du journal satirique Mad (Harvey Kurtzman), et le directeur de l'animation Chuck Jones, qui crééra à son tour un personnage similaire nommé Ralph Philipps dans les dessins animés (Looney Tunes) imaginés pour la Warner Bros.
C'est sous le titre La vie secrète de Walter Mitty que ce texte parut en France en 1948, dans un recueil de nouvelles intitulé My World and Welcome to It. Les éditions 10/18, qui le republièrent en poche en 1981 et en 1996, n'ont pas réactualisé la couverture en amont ou en parallèle de la sortie du film de Ben Stiller...
Du côté des diverses affiches produites de 1947 à 2013, la vie fantastique et fictionnelle de Walter s'étale sous différentes formes. Constatons d'abord que, dès les années 1940, la publicité interroge directement le spectateur sur sa perception : est-il un rêveur, voire un affabulateur (Are you a Mitty ?) ?
La version de 1947 (détestée de Thurber !) était assez différente du texte initial : employé d'une maison d'édition de magazines à bon marché, Mitty est sans cesse malmené par sa famille et ses collègues. Il ne cesse de s'imaginer en héros de fabuleuses aventures délivrant une splendide jeune femme - toujours la même - des situations les plus dramatiques. Jusqu'au jour où la fiction devient réalité : démarre alors une aventure d'espionnage opposant le héros... aux Nazis ! Les distributeurs éditèrent à l'occasion toute une panoplie d'affiches illustrant les différents rêves éveillés de Walter, dont nous donnons ici deux exemples.
Dans la version de 2013, l'histoire originelle est respectée : Walter "incarne" successivement et notamment un pilote, un chirurgien, un assassin aux assises, un pilote de bombardier de la Royal Air Force... et un condamné à mort ! Ses rêves débutent avec une mission précise : alors que le magazine Life va faire paraître son dernier numéro papier, avant de devenir accessible sur Internet, voilà que le négatif de la photo choisie pour cette ultime couverture s'avère manquant, disparu. Walter Mitty va alors partir à la recherche du photographe, en reportage au Groenland....
Transformée en véritable catalogue d'agence de voyage, la promotion du film accentue l'aspect surprenant du rêve, sous un angle jugé plus confortable, serein, lumineux et en accord avec la nature que la sombre psychologie développée par les réveurs d'Inception (C. Nolan, 2010) ou la spirale infernale de Requiem for a dream (Darren Aronofsky, 2000) ! Dans cette optique ascendante et planante d'une vie jugée paradisiaque, c'est le ciel éthéré du poster teaser (diffusé en juillet 2013) qui demeure l'image-symbole la plus évidente.
Le film de Stiller bénéficie d'une dizaine de visuels différents (créations du Studio Midnight Oil Creative), aptes à transformer cet homme ordinaire en super-héros. On s'intéressera en particulier aux différentes accroches proposées autour du même concept : Vivez l'impossible, Explorez vos limites, Stop dreaming/Start living, slogans dignes là encore d'agences ou de catalogues de voyages. Vers la Lune, par dessus la ville ou les montagnes, sur l'aile d'un avion (Superman), marchant à la verticale d'un building (Spiderman) ou plus simplement, dans une explosion publicitaire et photographique, se préparant à quitter les iconiques néons publicitaires et autres écrans géants de Times Square, Walter ne se dépare cependant jamais... de son attaché-case et de son costume d'employé de bureau ou d'homme pressé. Affairisme ou voyage en 1ère classe, Stiller reste le garant du rêve pionnier américain.
Car la vie rêvée, détachée du mode de vie consumériste et capitaliste, n'est au final qu'une illusion - impénétrable - de Cinéma...
En complément à cet article, visitez le site (et l'article d'Alain Korkos) :
http://www.arretsurimages.net/breves/2014-01-02/Walter-Mitty-le-mytho-id16636