5. La nouvelle geste héroïque : une écriture recyclée.
Dès ses origines, le Cinéma a besoin d’histoires, qu’il racontera avec ses spécificités (la représentation cinématographique). L’étude de l’histoire du 7ème Art a prouvé par ailleurs la volonté perpétuelle du cinéma notamment hollywoodien à recycler sa propre mythologie (western, aventure, science fiction, épopée historique) autant qu’à s’accorder au social et au politique via des genres (policier, comédie dramatique ou historique) et de jeunes réalisateurs émergents. Dans la mesure où la Peinture, le Conte, la Poésie et de manière plus large toute la Littérature ont précédé les Cinéma, on peut se demander qu’elle est actuellement la part encore préservée de ce patrimoine artistique mondial, au sein d’un secteur publicitaire devant vanter les différentes valeurs sociales du XXIème siècle (voir à ce sujet le chapitre 4).
Au sujet de l’adaptation, on précisera ici qu’elle est quasi-exclusivement un
hommage au matériel originel (exemples divers avec le visuel du
Dahlia Noir
(B. De Palma - 2006) ou celui de
Jacquou le Croquant
(L. Boutonnat - 2007)),
qui est souvent le livre ainsi que ses illustrations les plus connues (dans le courant du 19ème siècle pour les grands classiques français, anglais ou américains). L’affiche traduit la puissance
d’exaltation du mythe : elle fait un héros de l’individu, lecteur ou spectateur. Dans une certaine mesure, cette
iconographie
est ritualisée et quasi lithurgique puisque la « grande messe » de la sortie d’un film est soumise à un calendrier précis, à des codes et des règles préétablies.
Paradoxalement, cette mythologie « païenne » aura quelques difficultés à évoquer en images la religion, sinon certaines moeurs sociales (homosexualité, violences, drogues,
rapports hommes/femmes, politique, justice et police), alors que les affiches des films concernées seront justement les plus réussies esthétiquement. Citons par exemple des affiches
anglo-saxonnes récemment nominées sur plusieurs sites
Internet
spécialisés (Impawards
ou
Posterwire)
et par le concours annuel des
Hollywood Reporter Key Art Awards
(35ème édition en 2006)
comme celles de
Lord of War
(A. Niccol - 2005 ; création
Art Machine Digital),
Munich
(S. Spielberg - 2005 ; création
BLT & Associates),
Syriana
(S. Gaghan - 2006 ; création
The Cimarron Group)
ou encore
La passion du Christ
(M. Gibson - 2003).
En France, les mêmes sujets seront aussi traités selon une esthétique particulière :
l’affiche récente de
Président
(L. Delplanque - 2006) n’a ainsi rien de commun avec la production classique, et semble renvoyer justement à l’affiche dénonciatrice de
Lord of War,
mixte entre la peinture d’Arcimboldo (voir par exemple son
Rodolphe II de Bohème)
et le
design
de
Truman Show
(Faction
Creative)
de 1998. A l’inverse, les visuels des adaptations du drame policier
Les âmes grises
(Y. Angelo - 2005) ou du
thriller
Le concile de pierre
(G. Nicloux - 2005) sont extrêmement sobres et classiques, se contentant
de déployer une atmosphère, des visages et des noms d’acteurs connus, et une accroche inexistante ou réduit à sa valeur minimale. Le procédé n’est pas nouveau : il en était déjà de même pour les
différentes adaptations des
Misérables,
que ce soit en 1958 (J.P. Le Chanois), 1981 (R. Hossein) ou en 1998 (B. August). Que l’on compare, encore, ces deux affiches avec celle de l’adaptation du classique
Mystère de la chambre jaune
citée en ouverture de ce chapitre, pour constater la différence de traitement...
En montrant la finalité du processus d’adaptation, l’affiche de film est un pari somme toute risqué puisqu’elle délivre les premières clés visuelles et artistiques d’une production en général déjà achevée. Fans, lecteurs assidus ou joueurs acharnés voudront s’y retrouver, et auront un oeil d’autant plus critiques sur l’affiche qu’ils en sont le public ciblé. L’hybridation des genres et des styles débouche encore une fois sur une interactivité de plus en plus poussée avec le futur spectateur.