L’essor des grands studios américains, la multiplication des productions et la volonté de s’appuyer sur des licences commerciales expliquent la volonté forte de voir l’industrie cinématographique s’intéresser aux héros des auteurs anglo-saxons, tous rendus extrêmement populaires de par leurs diffusions dans les plus grands quotidiens (American Humorist ou New York Herald). Il faut également noter la très grande influence exercée par le puissant King Features Syndicate (KFS) créé dès 1915 par le magnat de la presse William Randoph Hearst pour fidéliser sa clientèle, qui vit surgir successivement Yellow Kid, Pim Pam Poum, Mickey, Flash Gordon, Krazy Kat, Mandrake, Le fantôme ou Prince Vaillant. Enfin, l’apparition du plus emblématiques des super-héros, Superman (dans le magazine Action Comics), coïncide en 1938 avec la vogue des très grandes superproductions hollywoodiennes (Autant en emporte le vent en 1939).
Des séries typiquement américaines telles que
La famille Illico
(création de Mc Manus en 1913) ou
Little Orphan Annie
(H. Gray en 1924) ont bénéficié très vite d’adaptations, en film
live,
dessins animés et comédies musicales. Le personnage d’Annie est arrivée jusqu’à nous puisque
Columbia
a acquis les droits du personnage et l’a décliné en films et téléfilms pour
Disney
en 1995 et 1999. Toutefois, il faudra réellement attendre les années’80 pour voir porter à l’écran dans des productions importantes
de véritables classiques comme
Popeye
(R. Altman - 1980),
Flash Gordon
(M. Hodges - 1981),
Dick Tracy
(W. Beatty - 1990) et bien sur
Superman
(R. Donner - 1979). Ces grands projets artistiques ne sont pas tous des réussites mais ont le mérite de s’appuyer sur un univers trop connu pour être détourné : les dessinateurs (et surtout le
studios dont ils dépendent...) sont donc toujours maîtres de leurs personnage et l’appel à des affichistes renommés est aussi la norme (Renato Casaro
et Richard Amsel par exemple pour Flash Gordon).
Dick Tracy
franchit le pas en allant jusqu’à la reprise des dessins originaux de Chester Gould, mais redessinés selon le visage des acteurs modernes (Warren Beatty, Madonna et Al Pacino), ce qui lui donna
un ton plus proche de la réalité paradoxalement que l’affiche du film de William Berke de 1945. On constatera la même chose entre les affiches des versions 1948 (S.P. Bennet) et 1979 de
Superman.
Dans les années ‘90, le progrès des effets numériques et le succès phénoménal du
Batman
de Tim Burton en 1989 entraînent les studios dans une spirale d’adaptations sans cesse plus coûteuses des super-héros :
Spiderman, X-Men, Hulk, Daredevil, Catwoman, The Crow,
Hellboy
ou
La ligue des gentlemen extraordinaires
sont ainsi quasiment tous déclinés en série de films, rejoignant la double idée du
serial
populaire à l’américaine et de l’engouement renouvelé connu par d’autres héros comme
Tarzan,
Zorro
ou
James Bond.
Rares une fois de plus sont les cas où le dessinateur se retrouve aussi responsable de l’affiche, puisque la création est plus importante que le créateur, et que ce sont les studios seuls qui
peuvent gérer les dépenses et les retombées financières de licences exploitées de manière internationales. On assiste tout de même à une plus grande implication d’auteurs tels que Frank Miller,
Alan Moore ou Mike Mignola, tous attachés à voir leurs oeuvres respectées à l’écran, en dépit parfois de sérieux problèmes liés aux concurrences entre les studios (Alan Moore s’est ainsi
volontairement
éloigné des plateaux en 2005-2006 et concédé ses droits à la
Warner
sur les adaptations de
Constantine
(F. Lawrence - 2005)
et
V pour Vendetta
(J. Mc Teigue - 2005)). Mignola, à l’inverse, travaille pour Disney ou coscénarise et dessine la préaffiche du film adapté de son
Hellboy
(G. Del Toro - 2004).
Revenons sur le cas d’Alan Moore pour dire que l’affiche de
V pour Vendetta
se veut aussi emblématique du renouveau des adaptations : loin d’une simple reprise du ton des albums (l’histoire d’un mystérieux
vengeur masqué en lutte avec une société anglaise devenue totalitaire), l’affiche s’affirme indépendamment des anciennes couvertures. Moore n’étant que scénariste, il pouvait néanmoins faire
appel à son dessinateur David Loyd pour en donner sa version, ce qui ne fut pas fait… Le
design
des préaffiches (studios
Concept Art),
dans un style néo constructiviste ou expressionniste allemand, témoigne toutefois et avec une parfaite évidence du système totalitaire stalinien qui est l’un
des fondements du film. L’art du photomontage exprimé sur l’affiche rend par ailleurs un bel hommage aux origines graphiques du
film.
La palette des genres cinématographiques en se limite heureusement pas aux héros et aux bandes anglo-saxonnes ou franco-belges les plus connues (Barbarella
par R. Vadim en 1968), et certains témoignent d’un fort engagement artistique :c’est particulièrement le cas des bandes dessinées (serials
ou
pulp fictions)
où l’atmosphère traditionnelle du polar est très forte, pour ne pas dire noire (Dick
Tracy,
Batman, Sin City, From hell, Les sentiers de la perdition, History of violence).
Dick Tracy et encore plus les
Batman
de Burton (1989 et 1991) ont lancé la voie de films aux tons plus durs, plus adultes, dont ceux de Frank Miller qui, de
Daredevil
(M.S. Johnson - 2003) aux
300
(Z. Snyder - 2007) en passant par
Sin City
(R. Rodriguez - 2005) décline un univers ultraviolent mais tout aussi inoubliable (Miller fut aussi scénariste et dessinateur de Batman et scénariste au cinéma des mitigés
Robocop 2
(I.Kershner - 1990) et
3
(F. Dekker - 1992)). Les affiches de chacun de ces films évoquent sans détours tous les éléments du Film Noir : la nuit et la pluie, la ville, le crime, la violence et le destin de héros torturés
par l’idée de vengeance ; toutes proviennent souvent des mêmes agences de publicité, d’où une certaine ressemblance :
Intralink Film Graphic Design
(300 mais aussi
Batman Begins
(C.Nolan - 2005) ou The Crow (A. Proyas - 1994)),
BLT & Associates
(Sin City, From Hell (A. hugues - 2001),
X-Men
(B. Singer - 2000),
Blade
(St. Norrington - 1998),
Spiderman 3
(S. Raimi - 2007)) ou
Pulse advertising
(Road
to perdition
(S. Mendes - 2002),
Men in black
(B. Sonnenfeld - 1997)).