Au tournant du 21ème siècle, force est de constater que l’affiche traditionnelle est toujours là : elle indique encore le nom des acteurs et celui du film, et en est encore un résumé plus ou moins bien agencé. Après des milliers d’affiches de films, l’innovation ne peut être que parcellaire ou totale… L’affiche doit littéralement appeler le spectateur à la voir, comme les publicités dans Minority Report (2002 - S. Spielberg). Raison sans doute pour laquelle de nombreuses affiches offrirent un somptueux échange de regard avec le monde cinéphile : oeil immense de Dinosaure (E. Leighton - 2000), inquiétant d’Hollow Man (P. Verhoeven - 2000), inquisiteur de Requiem for a dream (D. Aronofsky - 2000), maléfique d’Hannibal (R. Scott - 2001), humoristique de Monstres & Cie (P. Docter - 2002), fauve de Deux Frères (J.J. Annaud - 2004), enfiévré d’Harry Potter 4 (M. Newell - 2005), armé de Lord of war (A. Niccol - 2005) et lointain de Silent Hill (C. Gans - 2006).
Ce jeu de regard en connivence avec le spectateur est un procédé ancien dans l’histoire de l’affiche de film, mais les techniques actuelles ont permis de l’affiner, en rajoutant par exemple un
reflet à une paire de lunettes, ou en jouant sur le hors champ. Les « grosses têtes » (catégories d’affiches) d’autrefois (l’archétype étant l’affiche glamour de
Casablanca
de M. Curtiz en 1942) ont donc laissées la place à un sens qui est la vue, privilège logique de l’art des images. C’est l’affiche Style A de
Matrix
(L. et A. Wachowski) en 1999 qui réimpose d’un même coup l’idée des lunettes noires stylées, de caractères forts et d’un placement de produit potentiellement très juteux. Les affiches de
Lolita
(S Kubrick - 1962),
Risky Business
(P. Brickman - 1983),
Terminator
(J. Cameron - 1984),
Léon
(L. Besson - 1994)
et surtout
Men in black
(B. Sonnenfeld - 1997)
se plaçaient déjà dans cette triple logique mais furent « effacés » par l’énorme succès des trois Matrix.
Par la suite, l’idée fut encore affinée pour faire du reflet des lunettes une image exploitable : c’est le cas de l’affiche plus ancienne
de
Tueurs Nés
(O. Stone - 1994), puis de celle d’Almost
Famous
(C. Crowe - 2000) et
d’Aviator
en 2004 (M. Scorcèse). L’affiche d’Almost
famous
est signée par le studio de design
Pulse Advertising,
déjà à l’origine de la campagne des films Men in black. En 2006,
Miami vice
(M. Mann) reprend le concept mais délaisse le reflet trop tape à l’œil
au profit d’une sobriété rejoignant les visuels inspirés mais pourtant très différents de
Mémoires d’une geisha
(R. Marshall - 2004) et de
Sin City
(R. Rodriguez - 2005). Plus proche du spectateur, l’image le touche de plus en plus, pour en faire un élément publicitaire moteur nouveau à part entière.
Dans un jeu construit autour de l’espace et du temps avec le spectateur, l’affiche accompagne tout autant le lieu cinéma que l’histoire de celui-ci, formant un indémodable lien intime avec
celui dont elle sait qu’elle renouvelle justement un regard de mieux en mieux forgé mais de plus en plus distant, en raison de la profusion de films. Le temps de visualisation de l’affiche
diminue et s’amplifie, parce qu’elle est, non pas partout, mais de tous les côtés, sur tous les supports et qu’elle doit être là, reconnaissable, longtemps avant la sortie
du film.
La dernière innovation des studios Warner est surprenante : Spiderman 3 (S. Raimi - 2007) dispose d’une affiche holographique ! L’astuce n’est pas nouvelle, Warner Bros nous avait déjà fait le coup en 2003 avec certaines affiches de Matrix Reloaded, cherchant un impact visuel propice à marquer les spectateurs. Cette affiche (dévoilée en juillet 2006 après une 1ère affiche en février) montre la poitrine de Spiderman passer du rouge au noir selon le point de vue. Si elle est moins impressionnante que celle des précédents opus, elle reflète la dualité et le combat intérieur qui sont le sujet de ce troisième volet, symbolisé également par une modification du design de l’araignée, beaucoup plus agressive dans sa version sombre.
Dire de l’affiche qu’elle regarde le spectateur n’a jamais autant été plus aisé à démontrer : la simple accroche d’autrefois s’est transmuée en l’affiche toute entière. Son
rôle cognitif autour des éléments clés du film s’est lui aussi peu à peu modifié vers un plus grand agissement : si les acteurs ne doivent pas regarder vers la caméra dans le film, les
personnages incarnés et présents sur l’affiche n’ont jamais autant invité les spectateurs, droits dans les yeux, à entrer dans une salle pour voir
leurs aventures. Le Cinéma est, on le sait, un perpétuel et fascinant jeu de regards ; là
où l’affiche de film se glisse, c’est en proposant un véritable sésame de dévoilement de proximité : voir l’affiche, c’est déjà être face au film, construire un imaginaire qui lui est relatif et
voir ce qui n’a pas encore été vu. C’est un choc visuel au sens où un monde en trois dimensions est en train de naître (voir l'affiche 3D de la promotion par la Warner de
Speed Racer (A. et L. Wachowski - 2008) : link).