Chapitre 4
Reprises et
détournements :
l'affiche mise en abyme
· 1. Un genre d'affiches ?
· 2. Motifs et textures récurrents : quelques exemples...
· 3. L'affiche-star ou la systématisation du mythe
· 4. La parodie comme exercice de style visuel
Pulp fiction
(Tarantino, 1994), entre Littérature et Cinéma….
Le Cinéma puise son inspiration dans une imagerie et un contexte narratif qui émanent le plus souvent de grands schémas et lignes directrices extraits des
cycles mythologiques ou héroïques propres aux grandes cultures mondiales.
Genres, archétypes, univers, épreuves et symbolismes peuvent ainsi se définir en une quarantaine de scénarios-types (ou situations dramatiques) ; l’affiche de cinéma, en elle-même résumé d’une œuvre et des différents éléments précités, se veut également ultra-recontextualisante. En faisant appel à une mémoire de références communes pour un public cible, et donc de plus en plus clairement en interpellant d’autres films appartenants à des genres proches de celui nouvellement représenté, elle en copie les rites, les tendances, si ce n’est le nom des interprètes.
Entre hommage, reprise et parodie, l’affiche est le miroir de plusieurs codes la désignant à la fois comme une source de nouveauté et la digne héritière de films plus ou moins clairement et volontairement identifiés.
1. Un genre d’affiches ?
Le mot « genre » au Cinéma a donné lieu à une innombrable somme d’écrits, au fur et à mesure que les réalisateurs faisaient se
diversifier ou se conjuguer des trames qui furent dans un premier temps celle de la Littérature : de Drame, Fantastique ou Historique, les définitions des genres passèrent à drame contemporain,
médiéval fantastique ou politique fiction, faisant franchir au domaine critique d’une œuvre des chemins parfois obscurs pour un œil non avisé. Sur l’affiche, les choses se complexifièrent : que
dire, que représenter, que suggérer par le titre ou la
couleur ? Les couvertures des grandes séries romanesques du 19ème siècle, dans un contexte illustratif lié à la novélisation, à l’intensification de la lecture de la presse et à la montée en
puissance de la publicité, avaient déjà montrés la voie à suivre : chez Jules Verne ou Eugène Sue dominent les caractères, les temps forts et la représentation symbolique du paysage traversé ;
dans les différents
pulps
puis
serials
américains
développés dans les années 1930 et 1940, les choses seront également éminemment proches dès la couverture/affiche. De nos jours encore, il y a coïncidence entre la couverture du livre et
l’affiche de son adaptation cinématographique, celle-ci remplaçant d’ailleurs la première pour la nouvelle édition du livre, se faisant en quelque sorte le mimétisme réactualisant et donc
néo-symbolique d’un univers précis.
Qu’en déduire ? Le design d’un logo titre ne laisse rien au hasard, mais la chaîne de construction qui se met en route pour aboutir au produit « affiche » et à tous ses dérivés ne peut qu’entrevoir le plus souvent la matière filmique à proprement parler, à partir du scénario, du storyboard ou de quelques rushs. Si le réalisateur et l’ensemble de son équipe émettent des vœux précis, il s’agit essentiellement justement de reprendre des éléments ou des repères narratifs, artistiques ou conceptuels évidents pour tous les intervenants (la fameuse ligne artistique ou « bible » du film). L’histoire de l’évolution de l’esthétique liée à l’affichage pour le septième art est quasi indissociable d’une logique de référence : il y a des affiches clés comme il existe des films clés ou des classiques (films cultes), mais encore conviendrait-il de voir si l’affiche correspond en notoriété au film qu’elle illustre. Plus encore, il faut analyser dans l’affiche ce qui est réellement lié de manière novatrice au film, en termes de niveaux de référencements , ou, au contraire, de décalages : on y opposera ce qui peut être rattaché à une lecture transversale, plutôt lié à un genre ou un univers précis qu’au film dans son unicité.
2. Motifs et textures récurrents : quelques exemples historiques
A l’origine, les affiches des films promus par les frères Lumière, par Méliès, Pathé ou Gaumont, ne montraient finalement rien d’autres que le Cinéma en tant qu’innovation technique : la
publicité, dès la fin du 19ème siècle, s’affichait clairement en abîme. Tant et si bien que le spectateur doit verser très tôt dans l’illusion et le trucage pour s’extraire de cette première
approche. Le premier
repère-affiche
identifiable date de 1902 avec le
Voyage dans la Lune
(G.Méliès), pour lequel l’affiche reprend le motif de l’obus spatial percutant l’œil sélénite.
Le cinéma n’oubliera pas ce premier motif : à la fois astre rond, lumière divine, œil et objectif, incarnation du monde naturel comme de l’étrange, il était
transformable à loisir et inhérent aux genres re-naissants, puisque déjà reprise de l’un des plus fameux voyages de Jules Verne. L’apparition, au sens premier, du cinématographe, coïncide avec
celle du spectacle moderne : scènes et lieux, acteurs et actions, trucages et lumières, émergent pour se donner en représentation (le fameux « théâtre
filmé »).
Les réalisateurs les plus proches de cette conception première ont su renouveler l’approche visuelle de cette apparition. Ainsi, en 1977,
Rencontres du troisième type
de Steven Spielberg, ne reprends que le panorama de fond, essence même du récit de science fiction : un ciel étoilé bleuté et une lueur mystérieuse suffisent à l’imaginaire du spectateur. En
1982,
E.T.
parachève cette vision en magnifiant la pleine lune d’une silhouette aussi inappropriée qu’inoubliable ; l’autre version de l’affiche, en reprenant
la
Création
de l’homme par Michel Ange, complète du reste l’idée de naissance ou d’essence extraordinaire à travers celle de la notion d’œuvre.
La création d’Adam - Michel Ange
Détail de la Chapelle Sixtine (1508 - 1512)
Ce monde d’ombres et de lumières est désormais référencé : mystérieux et non humain, il n’en reste pas moins attachant ou
familier, que ce soit par le choix des couleurs (un bleu profond, aérien et marin, qui est aussi l’un des symboles de l’univers du Cinéma) ou par l’invitation à la découverte qui en découle.
Prenons des exemples : en 1980, le
Grand bleu
de Luc Besson, en 1988,
L’ours
de Jean-Jacques Annaud, en 1996,
Microcosmos
de Claude Nuridsany, en 1999
Himalaya l’enfance d’un chef,
en 2001
Le peuple migrateur
de Jacques Cluzaud et en 2004
La planète bleue
de Alastair Fothergill (ces quatre derniers films étant également distribués par le producteur Jacques Perrin).
Ce premier motif récurrent - et l’on pourrait parler de « texturage » ou de « motif texturant » - est aujourd’hui repris dans une acception plus large : le merveilleux et le fantastique, en tant que genre cinématographique à part entière, se le sont accaparé, sans pour autant oublier les valeurs d’universalité, de mystère fascinant et de magie également reliées au médium. Ainsi, de la pré-affiche du premier volet des aventures d’Harry Potter (Chris Columbus, 2001) à celle de la nouvelle version de Peter Pan (P.J. Hogan) en 2003, l’œil et l’esprit du spectateur s’ouvrent à l’inconscient de l’imaginaire enfantin et féerique, référent certain à un retour aux sources du rêve de Méliès.
Dans cette invitation au voyage que constitue en permanence l’univers
filmique et publicitaire, il faut voir aussi que des paliers successifs ont été construits en accord avec le spectateur : avec le temps, pré affiche,
affiche, puis pellicule du film à proprement parler se déroulent devant les yeux de ce dernier. Arrivé dans la salle, calé dans on fauteuil,
l’élément humain ne vient néanmoins définitivement s’ancrer dans le récit filmé qu’après deux nouvelles étapes dont une seule demeure incontournable : le
logo
de la firme ou du studio ayant produit le métrage, puis le
générique
(ou crédits de début/fin). Il conviendrait de se demander alors jusqu’à quel point le logo est un point d’accomplissement ou de transition de l’affiche, sur lequel il figure déjà, au film. Ainsi,
et même détourné ou sonorisé en fonction de la spécificité du film auquel il est associé comme cela se fait désormais couramment, le logo apparaît comme un nouveau signifiant à valeur
publicitaire : cachet marketing du film et authentifiant qualitatif théorique, il n’en demeure pas moins symbolique d’un style, si ce n’est d’un univers/genre précis : le grand spectacle et la
Science Fiction pour la 20 th Century
Fox, l’Aventure pour Universal et Paramount, le Merveilleux pour Disney, le Fantastique et le Policier pour Warner, etc.
Reprenons notre réflexion sur le premier motif et les teintes associées : la lune et un logo en bleu et blanc sont actuellement repris par deux studios concurrents : Dreamworks (studio crée en 1994 par Steven Spielberg, Jeffrey Katzenberg et David Geffen) d’une part, où l’on voit un enfant évoquant Pierrot pêchant à la ligne assis sur un croissant de lune ( le croissant complété dévoilant ensuite le début du titre Dreamworks), et Disney de l’autre, dont le propre logo représente le château de la belle au bois dormant, au centre d’un demi cercle parcouru par une étoile filante, le tout sur un fond bleu ciel.
Pour les deux studios, les symboles-référents sont particulièrement nets et à volonté universelle : car, exactement comme pour l’affiche, l’impact du logo, s’il ne fait pas entrer les spectateurs dans les salles, peut en revanche les rebuter. On comprendra, dès lors, la mode actuelle du faux détournement de logo en début de chaque long métrage, puisque le logo redevient une « porte d’entrée » à part entière dans l’histoire.