Les hasards ou coïncidences de l'actualité cinématographique récente ont réussi à conjuguer sur une tonalité polémique des thèmes déjà "séculaires" : les affiches de films doivent-elles ou non être politiquement incorrectes, dérangeantes, contraires aux lois en vigueur et toujours respectueuses d'une éthique que certains qualifieront de "bien pensante" ?
On aura donc eu droit successivement - et uniquement en France depuis les six derniers mois - aux "affaires" Vilaine, Monsieur Hulot, Coco avant Chanel et Anges & Démons... Soit une succession de l'actualité polémique exceptionnelle, là où les affaires d'affiches censurées sont extrêmement rares (cf. sur ce site : http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/pages/Chapitre_2__Sexe_mensonge_et_publicite_partie_3-395779.html).
Voici un rappel de chacun des cas :
- Le film Vilaine (J.P Benes et Allan Mauduit), se présentait le 12 Novembre 2008 comme la comédie "politiquement incorrecte dans l'excès et le burlesque" de l'année. Problème en adéquation avec cette accroche : le visuel, présentant Marilou Berry (qui incarne Mélanie Lupin, une gentille poire qui décide de se venger), tenant un chat par la peau du cou, au dessus d’une poubelle. Une ignominie envers les animaux, selon la SPA.

« Les producteurs de Vilaine ont-ils pris conscience de l'impact d'une telle image sur un public fragile, imitant l'actrice pour s'amuser ? Ont-ils pensé à l'aspect cauchemardesque pour l'enfant proche de son chat ? (...) Dans une société où l'individualisme et le cynisme prennent une grande ampleur, il est consternant que le milieu artistique ait utilisé une image aussi violente pour un objectif promotionnel et hélas lucratif », a déclaré Mme Lanty, présidente de l’association, qui ne remet nullement en cause l’actrice principale : « La SPA ne doute aucunement de la sensibilité de Marilou Berry et de l'équipe qui n'ont sûrement pas maltraité réellement des animaux. ».
Au-delà du buzz généré notamment sur la sphère internet, on notera qu’au final l’affiche de Vilaine n’aura fait l’objet d’aucun retrait ni aucune modification : celle-ci ne sera considérée que comme une parodie du visuel du Fabuleux Destin d’Amélie Poulain (J.P. Jeunet, 2001).
- En Avril 2009, et alors que la Cinémathèque Française programme une vaste exposition rétrospective de l’œuvre de Jacques Tati (du 08 Avril au 03 Mai 2009 : voir le site http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/tati/index/bienvenue.html), Métrobus, régie publicitaire de la RATP, annonçait son intention de faire disparaître des affiches de l’exposition la pipe de Monsieur Hulot, célèbre personnage du réalisateur. La Cinémathèque ayant tout de même décidé de fournir des affiches où un grossier moulin à vent jaune en lieu remplaçait la cultissime pipe, elle n’excluait pas la polémique naissante : « Un ajout ridicule pour une censure ridicule » et « Tati sans sa pipe, c’est comme Chaplin sans son chapeau !», explique-t-on …


Pour Métrobus, il s’agissait surtout de censurer la pipe au nom de la Loi Evin qui, depuis 1991, interdit toute publicité directe ou indirecte pour l’alcool et le tabac. « Notre service juridique a estimé que l'affiche était contraire à la loi. Nous avons déjà fait modifier plusieurs campagnes de ce type quand une boisson alcoolisée était mise en avant. Pourquoi ferait-on autrement lorsqu'il s'agit du tabac ?», expliquait ainsi Métrobus au journal Le Parisien.
La polémique rebondit encore lorsque Claude Evin lui-même prend la parole :
« C'est ridicule, estime l'ancien ministre de la Santé au micro de France Info : « La loi que j'ai fait adopter a pour objet d'interdire la propagande, et la publicité directe ou indirecte.(...) On n'est pas dans cette situation. Il s'agit d'un patrimoine culturel qui s'inscrit dans notre culture cinématographique ». Cette « polémique » risquait d'affaiblir « le message de la lutte contre le tabagisme ».
Pour beaucoup, l’acte est en effet vain aux considérations que « Tati n'allume jamais sa fameuse pipe dans aucun de ses films». En 1996, déjà, un timbre représentant André Malraux la cigarette au bec avait été retouché par la Poste. Et en 2005, c’est Jean-Paul Sartre qui avait été amputé de son mégot par la BNF, sur les affiches utilisées pour une exposition qui lui était consacrée. Personnages fictifs ou non, même combat puisqu’en 1983, Lucky Luke avait du lâcher sa célèbre cigarette pour… un brin d’herbe. Plus politiquement correct.
- L’affaire Tati se renouvelle fin Avril 2009 avec la sortie de Coco avant Channel (Anne Fontaine, sortie le 22 Avril), où Audrey Tautou pose dans ce biopic en tant qu’égérie de la mode, indétrônable cigarette au bout des doigts. Cette fois-ci, et de manière anticipée, sur les 5800 affiches françaises créées, les 1100 destinées aux métros et bus parisiens seront substituées par un visuel où l’on retrouve Audrey Tautou entourée de certains acteurs masculins du film.

« Nous avons dû nous résoudre à n'utiliser dans le métro que deux affiches de complément, où Audrey Tautou apparaît au côté des acteurs masculins», explique Olivier Snanoudj, directeur général adjoint de Warner France et producteur du film , qui s’étonne : « La cigarette de Coco Chanel a été refusée par Métrobus alors que pour tous les autres afficheurs, elle ne posait aucun problème (...) Pour nous, la vraie affiche est celle où Coco Chanel fume dans une pose naturelle qui traduit sa forte personnalité et sa modernité ».
- Dernier cas en date : sur l'affiche de la suite du fameux Da Vinci Code du romancier Dan Brown, la préquelle Anges & Démons (Ron Howard, 13 mai 2009), point de mégot en trop, mais une phrase qui attire l'attention: « Que nous cache le Vatican ? ». Pour faire son entrée dans le métro, elle a été remplacée par une autre sentence moins sulfureuse : « Depuis 500 ans, une vengeance se prépare contre le Vatican.» Raison du changement ? L'interdiction de diffuser des messages politiques ou religieux, a expliqué le service de communication de Métrobus au magazine Télérama.
Jean-Pierre Tessier, président de l’Autorité de Régulation Professionnelle de la Publicité, modère la polémique : « En tant qu'entreprise publique, la RATP se doit de montrer l'exemple, et en tant qu'annonceur elle risque d'être condamnée. Et une affiche dans le métro est plus proche, elle a un caractère plus prégnant, plus efficace que celles qu'on trouve dans la rue, donc la RATP se doit d'être d'autant plus vigilante ».



Métrobus explique encore : « nous avons une convention avec la RATP et la SNCF qui nous interdit de diffuser des messages à caractère politique ou religieux. Or, le Vatican est un Etat. ». Cette dernière explication suffit-elle toutefois à relativiser une accroche totalement transformée et où, de coupable, l'énigmatique Vatican devient la victime d'un complot ?
De fait, où commence la vigilance et ou s’arrête la censure, dans un monde des images de plus en plus foisonnant et référentiel ?