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 3. Un contrôle préventif : le visa d’exploitation


  Le Cinéma est l’un des derniers médias à être soumis à un contrôle préalable de son contenu ; un film, lorsqu’il est terminé, doit en effet pour pouvoir être diffusé obtenir un
visa d’exploitation. Cette « autorisation administrative » est délivrée au nom du Ministre de la Culture et se fait après avis de la Commission de classification.

Les objectifs du contrôle exercé dans ce cadre ont, bien évidemment, largement évolué depuis son instauration en 1916. C’est avant tout la protection et l’information des mineurs qui est recherchée - parce que les spectateurs sont de plus en plus jeunes - en dehors de toute fin politique, comme cela a pu être le cas à certaines périodes. Mises à part les limites d’âges imposées aux spectateurs (cf. encadré « Que peut faire le Ministre ? »), ceux sont essentiellement les films à caractère pornographique ou immoral qui risquent une interdiction ou des coupures ; depuis l’adoption le 30 Décembre 1975 de la loi créant la catégorie particulière des films X, le risque d’interdiction totale a pratiquement disparu. La censure devient maintenant plus financière puisque les films non autorisés à une large diffusion doivent s’astreindre à un réseau de salles spécialisées et qu’un régime fiscal pénalisant leur est appliqué.

Dès lors cependant, qu’en l’absence de textes définissant la pornographie, un tel classement peut concerner aussi des films d’auteur, comme cela a été le cas pour Virginie Despentes, de nombreuses personnalités dénoncent un risque d’atteinte à la liberté d’expression sous couvert de protection des mineurs.

Même autorisée par un visa d’exploitation régulier, la diffusion d’un film peut ensuite être interdite localement. La loi donne en effet compétence aux maires lors de l’affichage et de  la projection d’un film susceptible d’entraîner des troubles dans la commune, du fait de son caractère amoral, violent, partisan, religieux ou politique appuyé. Depuis les années 1950, certains maires ont largement usé de ce pouvoir de police pour veiller à la moralité des spectacles diffusés à leurs concitoyens : furent interdits aussi bien La neige était sale (L. Saslavsky -1952), regard sévère sur les Français pendant l’Occupation dont l’affiche donnait le ton, Le blé en herbe (Cl. Autant-Lara - 1953), adaptation du livre de Colette aux personnages sulfureux, ou, plus près de nous, Le pull-over rouge (M.Drach - 1979), reconstitution de l’affaire Ranucci , et surtout l’œuvre de Martin Scorcèse, La dernière tentation du christ (1988).

   
 Avant même le début du tournage,
La dernière tentation du Christ était déjà connue des spectateurs en raison de l’opposition d’une partie des fidèles de l’Église (le film connut en France un regain d’intérêt considérable lorsque des extrémistes religieux firent sauter un cinéma du Quartier St Michel à Paris). Il en fut de même pour le Je vous salue Marie de Jean-Luc Godard, dès 1985, qui ne put être projeté en salles qu’après une victoire du cinéaste devant le tribunal de Paris. Le film Ave Maria (J. Richard - 1984) eu moins de chance et son affiche initiale, qui montrait Isabelle Pasco, seins nus, sur une croix, fut interdite. Un procès similaire opposa des associations catholiques et Columbia à propos de l’affiche de Larry Flynt (M. Forman -1996) qui montrait un homme crucifié, portant le drapeau américain, sur le bas ventre d’une femme (« l’image de celui qui est mort pour sauver les femmes utilisée pour assurer la promotion de celui qui n’a vécu que pour exploiter les femmes » disait alors d’un des avocats)… L’affiche fut modifiée en France, contrairement à l’Allemagne et à la Belgique. Le pire étant finalement que la réalité rejoignait la trame du film : la censure face à la liberté de ton devant les valeurs d’une société occidentale, ce pour quoi le film reçu de prestigieuses récompenses, dont le Lion d’or à  Berlin en 1997.


 En 2004, en dépit du tapage médiatico-religieux fait autour de
La passion du Christ, l’acteur et réalisateur Mel Gibson arrivera à vendre son film au monde entier et à en faire un très grand succès commercial. Car à chaque polémique, que ce soit le défilé de mannequins nus sur l’affiche de Prêt-à-porter d’Altman (1995) ou l’affiche d’Amen de Costa-Gavras en 2002, de la publicité est faite gratuitement au film (voir page suivante), et c’est ce qui permet aussi au film de se faire re-connaître artistiquement, comme ayant finalement quelque chose à dire, à montrer, à défendre... et à vendre !

 

Aujourd’hui, les juridictions administratives saisies de recours contre des mesures d’interdictions rendent de nombreuses décisions d’annulation de ces arrêtés, en exigeant que des circonstances locales particulières justifient réellement cette atteinte à la liberté d’expression. Les élus locaux recourent donc de moins en moins à ce type d’intervention, peut-être pour ne pas paraître trop conservateurs aux yeux de leurs électeurs . Mais ils ne renoncent pas pour autant à exercer toute censure, notamment en s’attaquant justement de manière plus insidieuse aux campagnes d’affichage des films : ainsi, à l’occasion de la sortie française d’Harcèlement (B. Levinson - 1994), et devant les menaces  de la Fédération des Familles de France, la société d’affichage Jean-Claude Decaux a été invitée à retirer la première version de l’affiche, à Arcachon,Aix-en-Provence et à Versailles. L’affaire sera jugée par la suite à la fois ridicule et inutile. L’affiche du Prêt-à-porter d’Altman sera pourtant de nouveau interdite des transports en commun de Lyon en 1995. De telles mesures demeurent exceptionnelles en France, et beaucoup rechignent heureusement à déclencher l’engrenage de la censure...

 

VIOLENCE, PORNOGRAPHIE…
QUE PEUT FAIRE LE MINISTRE ?
 

Il dispose d’un éventail relativement réduit de mesures envisageables. La commission de classification peut lui proposer soit :

 

· l’autorisation pour tous publics

 

· l’interdiction aux mineurs de 12 ans, généralement pour des motifs de violence ou de caractère pornographique

 

· l’interdiction aux mineurs de 16 ans, qui concerne plutôt les films abordant les sujets de la mort, du suicide ou de la drogue

 

· l’interdiction totale

 

· le classement X pour les films à caractère érotique et certains cas d’incitation à la violence.

 

En 1998, sur près d’un millier de films visionnés par la Commission de classification, 22 sont ressortis avec avertissement, 59 interdits au moins de 12 ans et 21 au moins de 16.

 

 

 

 

EGLISE

et

NAZISME :

Le scandale

d’une affiche

 

  

L’Église, le Cinéma et la Publicité entretiennent depuis longtemps des relations conflictuelles, comme en témoigne la polémique suscitée par l’affiche du film Amen, réalisé par Costa-Gavras en 2001.

 amen.jpg

L’affiche du film représente la croix chrétienne étroitement mêlée à la croix gammée nazie. Une association, l’Alliance Générale contre le Racisme et pour le respect de l’identité française (Agrif), proche des catholiques traditionalistes, a assigné en référé le producteur, le réalisateur et le distributeur afin d’obtenir l’interdiction de l’affiche, dont elle dénonce la « provocation » et « l’odieux révisionnisme ».   Le président de la Conférence des évêques de France, Mgr Jean-Pierre Ricard, exprimera la « blessure » ressentie par les catholiques.

L’affiche est due au célèbre photographe et publicitaire Oliviero Toscani, spécialiste de la provocation et mondialement connu pour avoir été pendant 18 ans l’artisan des campagnes chocs de Benetton : on se souvient du baiser entre une religieuse et un prêtre, sujet lui aussi d’une forte polémique.

Le film de Costa-Gavras, plutôt bien perçu par la critique spécialisée internationale, dénonce la « passivité » de l’Église pendant la Seconde Guerre Mondiale lors du génocide des Juifs et des Tziganes par Hitler et les nazis. C’est sur une lecture attestée de l’Histoire que s’appuie le film et, selon son réalisateur,  l’affiche n’a « aucun caractère délibérément provocant et correspond au problème posé par le film ». Expliquant qu’il n’a jamais voulu heurter la sensibilité des croyants, il se déclare cependant prêt à discuter « de la conduite à tenir » avec les producteurs. En dépit de ses dénégations, l’équipe du film pouvait difficilement ignorer qu’une telle affiche allait engendrer les réactions indignées d’une partie des catholiques… En Mai 2003, l’Agrif perdra son procès contre le film, par décision de Tribunal correctionnel de Paris.

   Le problème réel de l’affiche, à la fois résumé et symbole, est sans doute que l’habile montage de Toscani vire à l’amalgame pour le spectateur des années 2000 :  il y a finalement de la controverse au lieu du scandale, de l’assentiment passif et un air de déjà vu ou déjà su en lieu et place d’un véritable choc des consciences. L’Eglise, en fermant les yeux ou en feignant d’ignorer la Shoah, aura laissé faire. Mais le discours du film est sec finalement sur le devenir historique de cet assentiment, passé et présent. En Europe comme aux États-unis, du reste les médias télé se seront attardés à pérorer sur l'histoire d'une affiche, plus alléchante, moins gênante, que ce qu'elle est censée représentée : un film qui prétend nous faire pénétrer dans l'Histoire... pour, au bout de tout, mieux nous en déresponsabiliser. Tirer une croix : amen !

 

 Lire aussi sur ce sujet l’article d’André Habib - Amen, complices et rassurés (Hors champ - 08/2002 ).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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  • : Les affiches de films sont des papillons de la nuit du Cinéma : multicolores, éphémères et éternelles à la fois... Invitation, trace, mémoire d'un film ou d'un genre, l'affiche en tant qu'oeuvre visuelle ne saurait être démentie, mais comment la déchiffrer, qu'en saisir et que nous dit-elle finalement, à nous, spectateurs ?
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