4. Affiches de pixels
Bande dessinée, Cinéma et Jeu vidéo sont des univers à la fois hybrides et complémentaires : au-delà de la citation ou de la thématique, le film comme l’affiche reprendront aux jeux vidéo
leurs codes et conventions, plus ou moins explicites et plus ou moins réfléchies. La stratégie de l’adaptation n’a pourtant jusqu’ici pas donné de franches réussites, à l’inverse de ce qui a pu
se produire avec des romans ou des bandes dessinées : non parce que le scénario originel était moins riche, ce qui est loin d’être une évidence en face de chefs d’œuvre
comme Final fantasy , Silent Hill ou Metal
gear Solid, mais bien parce que la vision de l’univers du jeu vidéo dépend aussi d’un auteur à part
entière (le chef de projet ou le game designer) et de son équipe, et que la construction par niveau n’a que peu à voir avec celle d’une histoire réellement linéaire,
comme c’est le cas d’une histoire sur support papier. Dernier et premier élément de la chaîne, le joueur, entièrement actif, a également peu de choses en commun avec le spectateur de cinéma
traditionnel… Ces quelques éléments expliquent pourquoi le secteur culturel le plus porteur actuellement est justement celui du jeu vidéo, loin devant le Cinéma ou la
Musique.
Que dire de l’affiche dans ces conditions ? Au même titre que la couverture de la bande dessinée ou celle du roman adapté, elle va aller le plus souvent dans le sens de la logique commerciale liée au film. Parfois et volontairement, l’affiche du film ou la jaquette du jeu seront en dehors de la charte graphique connue internationalement pour une licence précise, et les personnages ou l’univers seront en marge (pour des questions de droits) du territoire emprunté par des millions de joueurs… ou de s spectateurs ! Les industries du Cinéma et du Jeu Vidéo travaillent aussi en concurrence les unes par rapport aux autres, et leurs studios sont indépendants, comme Electronic Arts aux États-unis, Konami au Japon ou Ubisoft en France. Si les deux secteurs se livrent un duel de l’image, c’est toutefois avant tout par le secteur publicitaire de l’affichage public, presse et Internet, et par des effets d’annonce promotionnels.
De Tron
(S.
Lisberger - 1982) à Matrix
(L. et
A. Wachowski), une quantité non négligeable de films ont pris comme sujets le jeu vidéo ou la réalité virtuelle. Cela a pu donner lieu à des ratages complets (Le
Cobaye (B. Leonard -
1991)), mais aussi à d'intéressantes réflexions sur les dimensions politiques et philosophiques de ces sujets (WarGames
(J.
Badham - 1983), eXistenZ
(D.
Cronenberg - 1999)). Progressivement, on voit que toute une nouvelle génération de cinéastes parvient à fonder intelligemment ses récits sur la culture vidéo-ludique et informatique en général.
C'est le cas au Japon, où les réalisateurs de films et séries d'animation ont accouché de quelques chefs-d'oeuvre sur le sujet (Ghost
in the shell,
Lain...). C'est le cas
aux États-Unis avec les frères Wachowski, dont Matrix a connu un succès mondial. C'est aussi le cas, depuis peu, en France : le flamboyant Pacte
des loups (2001)
de
Christophe Gans manifeste une passion immodérée pour le cinéma de genre, mais aussi pour les jeux vidéo (voir les combats où les armes employées viennent directement de
Soul Calibur), comme l’a
démontré son adaptation du jeu Silent
Hill en
2005.
Historiquement, la transition jeu vidéo/cinéma démarre fort mal avec l’adaptation du pourtant célébrissime jeu de plate forme de Nintendo Super
Mario Bros. (R. Morton)
en
1993. Le visuel crée par Steven Chorney déclarait que ce n était plus un jeu… avec une certaine raison. Il existe une curieuse ressemblance entre l’affiche et celles des films
Men in Black (1997 et 2002),
réalisés par l’agence
Pulse Advertising.
Les films suivants ne seront gère plus réussis dans la mesure où ils n’arrivent pas à saisir la quintessence d’un scénario souvent minimaliste : Street Fighter (St. E. de Souza - 1994) et Mortal Kombat (P. Anderson - 1995) sont des adaptations de deux grands classiques du jeu vidéo de combat (beat’em up). Il est par contre assez intéressant d’en comparer les affiches respectives : celle de Street Fighter apparaît comme l’affiche quasi parodique d’un match de catch, où cependant est conservé l’idée du logo originel de la série culte créé en 1987 par la société japonaise Capcom. Le visuel de Chapman Design pour Mortal Kombat (série sortie par Acclaim et Midway en 1992) est beaucoup plus sobre, et entièrement repris aux jaquettes des jeux initiaux, établissant une référence publicitaire logique.
Le demi succès remporté par
Mortal Kombat
et l’explosion culturelle causée en 1994 par la sortie de la première
Playstation
de Sony , en parallèle avec les nouvelles capacités du support CD, poussent éditeurs et studios à s’emparer réciproquement de leurs licences. C’est l’époque des jeux écrits par des scénaristes ou
réalisateurs de film, des cinématiques en
full motion vidéo
où sont repris acteurs, décors, musiques et voix connus, et du début d’une certaine confusion des genres, où des suites « officielles » de films (ou de séries tv) sont créées en jeu
vidéo. D’incontestables réussites émergent toutefois, notamment lorsque des films sont déclinés en jeu :
Dune
(1984) de David Lynch, adaptation du roman de Frank Herbert (1965), donne ainsi lieu successivement au magnifique jeu d’aventure
Dune
(édité par
Sega,Virgin
et
Cryo Interactive
en 1992), puis
au premier jeu vidéo de stratégie en temps réel sur PC puis consoles (Avalon
Interactive
et
Westwood Studios
- 1992), titré
Dune II,
battle for Arrakis.
L’affiche du film et du jeu Dune se ressemblent, la licence ayant été acquise par Sega, tandis que Dune II préfère s’éloigner de la simple logique Science Fiction/Aventure de l’univers inventé
par Herbert.
Une autre réussite notable a été le portage des prestigieuses licences James Bond et Star Wars sur PC et consoles : pour 007, les sociétés Domark
et Mindscape réalisent dès 1983 des jeux tirés des films homonymes (Dangereusement votre ou Permis de tuer), mais c’est Goldeneye (film en 1995, jeu en 1997 par RareWare et Nintendo) qui se révèlera être la tentative la plus réussie,
enclenchant du même coup à la fois le portage systématique de tous les nouveaux opus, celui d’anciens (Bons baisers
de Russie est
adapté en jeu en 2005) et surtout la création d’épisodes entièrement originaux recoupant parfois la trame d’épisodes « officiels » (Espion
pour cible
en 2001,
Nightfire
en 2002 et
Quitte ou double
en 2004, développés par
Electronic Arts,
et qui bénéficient de la voix et du physique de Pierce Brosnan). Les affiches/jaquettes de ces jeux ressemblent à s‘y méprendre aux véritables affiches de la saga
007.
L’univers de Georges Lucas a lui aussi donné lieu très tôt à des jeux inspirés des différents
Star Wars
: le plus intéressant à noter est que Lucas a créé en 1982 une structure spécifique (LucasArts)
afin de répondre aux exigences de qualité souhaitées par les joueurs et afin d’autogérer les différentes productions et adaptations vidéo ludiques des produits
Lucasfilm.
Cela garantissait ainsi dès l’affichage une charte graphique approuvée par Lucas en personne et réalisée par des artistes confirmés ayant le plus souvent déjà oeuvrés sur les films. On retiendra
les simulations spatiales
X-Wing
(1992) et
Rebel Assault
(1993), les
First Person Shooter Dark Forces
(1995),
Jedi Knight
(1997) et
Battlefront
(2004), le jeu de course
Star Wars Racer
(1999), le jeu de stratégie
Empire at War
(2002), le jeu de rôle
Star Wars galaxy
(2003) ou encore le jeu d’action
Lego Star Wars
(2005). Les jaquettes reprennent les éléments clés des affiches : logos, personnages, armes et véhicules officiels,
design
inspiré des films et ambiance du
space opéra.
Parallèlement,
LucasArts
déclinait ou inventait des épisodes de la saga
Indiana Jones
à partir de 1989 et de la
La dernière Croisade):
The Fate of Atlantis
en 1993,
La machine infernale
en 1999,
Le tombeau de l’empereur
en 2003 et un nouvel opus en 2007). C’est William E. Eaken qui dessina les illustrations de la jaquette en 1993, en essayant d’imiter le style de Drew Struzan, concepteur des affiches officielles
de la saga qui réalisa lui-même les
packaging decoration
suivants.
(Fin de ce chapitre dans la partie suivante)...