2. Le paysage français
La France n’est pas à l’écart des grandes créations
promotionnelles : sur le sol où le Cinématographe a été inventé, l’influence de son histoire de l’Art y est un avantage non négligeable. De plus, la Photographie et la Bande Dessinée drainent
vers le 7ème Art des artistes aux visions complémentaires, à tel point que les écoles d’art outre atlantique conseillent vivement à leurs étudiants d’effectuer des stages de pratique artistique
en Europe. Dans le cadre des studios et des agences de publicité, tout le monde à un regard sur les créations des
autres, mais chacun tente de garder une personnalité, une patte en accord avec les souhaits de réalisateurs actuels comme Luc Besson, Jean Pierre Jeunet, Jean Jacques Annaud ou Mathieu
Kassovitz.
Dans les années ‘50, les affichistes d’art se mettent à collaborer régulièrement avec des grands noms du cinéma :
René Gruau
ou
Bernard Lancy
illustrent ainsi tour à tour les films de Jean Renoir comme la
Grande Illusion
en 1957, dont l’affiche (de Lancy) au style graphique marqué années ‘30 a fait le tour du monde. Il faudra attendre les films de la Nouvelle Vague dès 1958 pour observer la démultiplication des
moyens employés : illustration ou photographie, dépouillement ou richesse des détails. Un collectif d’artistes regroupé sous le nom de
Jacques Fourastié
s’emploie par ailleurs depuis les années ‘40 à symboliser au mieux les bouleversements expérimentaux et les réflexions artistiques de l’époque.
L’artiste belge
Guy Peellaert
a acquis une notoriété internationale en réalisant en 1976 l’affiche la plus connue pour
Taxi Driver
de Martin Scorcèse, dont il aurait d’ailleurs du réaliser l’affiche de Main Streets : s’ensuivront notamment
Paris Texas
et
les Ailes du désir
pour Wim Wenders (1984 et 1987),
Short Cuts
de Robert Altman (1993) ou
Place Vendôme
de Nicole Garcia (1997). Peellaert privilégie un hyperréalisme basé sur les photographies de plateau, des polaroids, un dessin retravaillé au besoin informatiquement et une ou plusieurs lignes de
force. Il n’est pas rare qu’il présente quinze déclinaisons d’une même idée ou deux directions différentes quasi-abouties.
Dans les années’70 et ‘80, la mode des parodies et des comédies
d’aventure a entraîné la collaboration de graphistes issus du 9ème Art (Druillet, Moebius, Tardi), dont certains ont du reste réalisé plus tard leurs propres films comme
Gérard Lauzier
ou
Enki Bilal.
Sans parler de chocs visuels, on garde en souvenir un style précis accolé aux films de Claude Zidi, Patrice Leconte (René
Ferracci
pour les
Bronzés
en 1978) ou aux exploits physiques de Jean-Paul Belmondo. Zidi, tel Franquin dans
Gaston Lagaffe,
rajoutera sur chaque affiche un petit dessin accolé à son nom (une paire de menottes pour les
Ripoux
en 1984 ou un téléphone pour
La Totale
en 1991 par exemple). La quadrichromie triomphe et l’affichiste cède le pas au maquettiste à l’américaine...
3. 1975-1990 : des affiches aux fabuleux destins…
Le milieu des années’70 est un tournant sans précédent dans
l’histoire du cinéma mondial : l’apparition et la réapparition concomitante du spectaculaire, des effets spéciaux, du cinéma d’auteur indépendant et la restructuration en studios ou agences
publicitaires font que le Cinéma est un monde où les noms et l’argent voyageront désormais d’extrêmes en extrêmes. L’affiche abandonne une standardisation évidente pour se singulariser et
s’ouvrir à de nouveaux procédés techniques. En 1975, outre l’affiche des
Dents de la mer,
ce sont celles de
Barry Lyndon
(S. Kubrick) et de
The
Rocky Horror Picture Show
(J. Sharman) qui frappent durablement de par l’impact du noir, du blanc, du rouge et d’un logo-titrage appuyé. Peu d’affiches phares ensuite jusqu’aux chocs visuels que seront
La guerre des étoiles, Alien, Star Trek
et
Apocalypse Now,
tous précédemment évoqués. Revenons tout de même sur le film de Georges Lucas pour évoquer celui qui fut le
designer
du premier visuel de toute la saga,
Tim Hildebrand.
Jusqu’à sa disparition en Juin 2006, c’est avec son frère Greg que Tim s’était lancé dans une fructueuse carrière où les illustrations dans le domaine de la
Fantasy
anglo-saxonne primèrent, de livres pour la jeunesse en
œuvres
plus adultes comme l’univers de Tolkien. Parmi leurs affiches, citons
Le choc des Titans
(D. Davis - 1981),
Barbarella
(R. Vadim - 1968) ou encore
Brisby et le secret de Nimh
(D. Bluth - 1982).
Leur affiche sur Star Wars, créée à la dernière minute, ne fut pourtant jamais utilisée sur le sol américain pour le lancement du film ! Elle n’était en fait que la reprise
d’un design déjà inventé par l’artiste Tom Jung, mais fut jugée trop sombre (voir ci-dessous les deux versions) par la
20th Century Fox.
Réalisée en 36 heures à peine, sans photos des acteurs du film qui se retrouvent donc peu dans un dessin très stylisé, l’affiche sera cependant déclarée plus ou moins officielle par la
production, en raison de la notoriété des Hildebrand… (ci-dessous, en bas : 1ères affiches teasers en 1976 et 1977).
En 1980, Kubrick fait froid dans le dos avec
Shining,
inspiré du livre homonyme de Stephen King : hache et hurlement pour une affiche déjà éprouvante, déclinée en deux visuels. Beaucoup d’affiches emblématiques suivront durant cette décennie :
citons ou recitons
Blade Runner
(R. Scott - 1982),
E.T.
(Spielberg - 1982),
Conan le Barbare
(J. Milius - 1982),
Scarface
(B. de Palma - 1983),
Flashdance
(A. Lyne - 1983),
Dune
(D. Lynch - 1984) et
Out of Africa
(S. Pollack -1985).
Le
design
pour l’un des trois posters finalisés de
Dune
(appelé « deux lunes ») est devenu un objet de collection introuvable. De nombreuses déclinaisons des affiches furent faites de part le monde, en différents formats, en raison de
l’énorme budget alloué par la production Dino de Laurentiis à Lynch, qui n’était pas un fervent de telles pratiques.
1986 voit l’émergence de quatre affiches qui deviennent légendaires, en raison du phénoménal succès des films qu’elles illustrent tout autant que de leurs esthétiques somptueuses : 37°2 le matin (J.J. Beineix - film rebaptisé Betty Blue aux USA), 9 semaines 1/2 (A. Lyne), Top gun (T. Scott) et Platoon (O. Stone). L’affiche réalisée par Christian Blondel pour 37°2 le matin sera l’une des 5 affiches françaises jamais récompensées du César de la meilleure affiche en 1987, ce prix n’ayant existé qu’entre 1986 et 1990. Pour Platoon, on ne peut s’empêcher de penser que le 1er visuel américain (one sheet) au casque renversé inspira par la suite le visuel de Full Metal Jacket de Kubrick en 1987 (visuel composé d’ailleurs par le réalisateur lui-même).
La fin de la décennie est marquée par les affiches d’Au
revoir les enfants
(L. Malle - 1987),
Dirty Dancing
(E. Ardolino - 1987),
RoboCop
(P. Verhoeven - 1987),
Bagdad café
(P. Adlon - 1988),
Bird
(C. Eastwood - 1988),
Coktail
(R. Donaldson - 1988),
Piège de cristal
(J. Mc Tiernan - 1988 -
Die Hard 1),
Rain man
(B. Levinson - 1988),
Abyss
(J. Cameron - 1989),
Batman
(T. Burton - 1989),
L’ours
(J.J. Annaud - 1989),
Le cercle des poètes disparus
(P. Weir - 1989). Toutefois, l’affiche emblématique des années ‘80, outre celles de
Rain man
et du
Grand bleu,
est sans conteste celle de
Ghosbusters
(I. Reitman - 1984 - S.O.S. Fantômes), dont le formidable logo titre « no
ghosts »
fut dessiné… par un routier canadien ami de l’acteur Dan Aykroyd !
A partir de 1990, on entre dans une nouvelle ère de l’affichage au Cinéma : les plus grands films aux États-unis comme en France sont des produits marchands potentiellement dignes d’un Oscar ou d’un César, et les campagnes d’affichages voient leur budget s’accroître par 10 pendant la décennie. Panneaux mais aussi presse et produits dérivés doivent véhiculer à foison non plus une mais de multiples images du film, fonctions chacune des « cibles » (catégories socioprofessionnelles, tranches d’âges, nationalités) potentielles. Par ailleurs, l’essor décisif d’Internet à la fin de la décennie entame un processus de régénération visuel qui va conduire à une campagne interactive, où les informations, les photos et les chiffres peuvent être donnés à chaque moment et où surtout, un visuel peut être plus facilement décliné en « enrobage » ou « charte visuelle générale » d’un support à un autre.
C’est également au début des années 1990 que se situe un cinéma de citation, ou l’art du remake, des adaptations des classiques littéraires (romans, nouvelles mais aussi bandes dessinées) et des suites systématiques aux succès du box office s’installe durablement, parallèlement aux réémergences de genres disparus comme le Western ou le film de guerre à la fin de la décennie.