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6 avril 2008 7 06 /04 /avril /2008 16:26

  D’origine indienne, réalisateur, producteur et scénariste de Praying with Anger (1992) et Wide Awake (1998), M. Night Shyamalan se fait connaitre de manière internationale avec le succès de 6ème Sens en 1999, triomphe du jeu de dupe mené entre le metteur en scène, le spectateur et ce que ce dernier peut percevoir des évènements qui l’entourent. Paranormal, merveilleux, foi, croyance et pouvoir du regard sont les mots clés d’une œuvre influencée ouvertement par Alfred Hitchcock, Brian de Palma, David Lean et  Steven Spielberg.

  Ses films suivants (Incassable (2000), Signes (2002), Le village (2004), La jeune fille de l’eau (2006) et Phénomènes (2008)), ambitieux et continuateurs d’une réflexion globale sur la place de l’individu au sein de l’espace (famille, ville ou état) diviseront public et critique. Il faut y voir la résultante d’un désappointement et d’une incompréhension nés la plupart du temps du décalage entre la promotion (intentionnelle) du film (en tant que film fantastique ou d’horreur par exemple) et la réalité de son scenario (une réalité biaisée par le jeu des médias et une vision rapportée par autrui).

 Dans un cinéma engagé clairement « post 11 Septembre », où le doute s’installe en permanence chez le héros vis à vis du discours officiel et d’une menace latente mais imperceptible, et où le réalisateur s’amuse à « montrer sans montrer » la normalité et l’anormalité (du moins avant la résolution finale, souvent sous forme de « twist final», un élément théâtral choc poussant à une relecture de l’ensemble), il existe certainement des clés, des indices, sinon des signaux à décoder…   

  En apparaissant en outre dans tous ses films (caméo hitchcockien), Shyamalan y fait plus qu’un clin d’œil au spectateur puisque jouant très souvent le rôle du seul personnage détenteur de LA vérité ou de l’élément clef principal permettant d’atteindre celle-ci. Perpétuel jeu de piste sur l’image donnée du film, qui doit induire pour le spectateur-acteur-enquêteur le décodage ou la recherche permanente des signes.

  Les premiers d’entre eux sont sous nos yeux depuis le départ, puisque qu’il s’agit des affiches elles-mêmes… à condition de savoir les lire !

 


 
  Dès le poster teaser de 6ème Sens en 1999 nous sont données les pistes les plus importantes à suivre : caractère fondamental du regard (1er des sens listés), parcours ou axe interne induisant un apprentissage (de « Bruce Willis » au garçon et au titre du film), concomitance entre enfance/imaginaire et fantastique/paranormal, remise en question du savoir et du religieux (choix entre croire, voir ou savoir). L’affiche internationale s’accompagne de la même accroche à double sens (« Tous les dons ne sont pas une bénédiction »). La « tromperie promotionnelle » porte sur l’accentuation d’un acteur connu, héros logique d’un film où l’enfant est forcément la menace, dans un visuel évoquant ouvertement le film d’horreur façon John Carpenter (The Fog - 1980) et la couverture des romans de Stephen King…

 







  Le design d’Incassable (2000) joue à priori les codes du policier fantastique : duo antinomique, ligne de fracture entre les personnages et noirceur du propos… Sauf qu’à ce jeu du déchiffrage erroné, on en oublierait le titre, signifiant tout l’inverse (incassable, c’est justement l’absence de fracture ou bris de verre) ; et la silhouette se dressant entre les personnages : un troisième homme ou le double jeu de l’un des deux visuellement à l’affiche ? Rien n’annonce un scénario malicieux qui ne lèvera enfin le voile qu’à la projection du film : le monde des Comics et des super héros.

 Ironiquement, en 2004, le 36 Quai des orfèvres d’Olivier Marchal récupérera le design pour un film où le ton noir du genre polar et la guerre des polices sont réaffirmés.

 






 
 Le superbe visuel de Signes en 2002 annonce son sujet : l’énigme potentiellement extra-terrestre des crop-circles (ou agroglyphes ; phénomène toujours inexpliqué à ce jour) et une menace sourde sur une maison du Middle West américain. Le prestigieux studio de conception Bemis Balkind (créateur pour Shyamalan des concepts de 6ème Sens et La jeune fille de l’eau, mais aussi des affiches de Forrest Gump, Armageddon, Braveheart ou Titanic) signe un design marquant, dénué de tout visage et à la ligne symétrique rare. A la fois menace (ton rougeâtre de l’affiche) et cheminement dirigé du regard, cette dernière s’accompagne d’un accroche sensiblement différente en anglais (« c’est en train d’arriver » et en français (« vous êtes prévenus ») ; on en déduira aisément le syndrome « guerre des mondes » (réalité, fantasme ou paranoïa latente) d’une réalisation s’inscrivant dans le contexte des spectaculaires attentats du 11 Septembre 2001. Chemin de la compréhension ou de l’acceptation, foi en l’avenir et « signes » du destin étaient déjà manifestes sur la « route » de l’affiche de Rencontre du 3ème type (S. Spielberg - 1977), mais la psychose ambiante fait écho au film d’Hitchcock (1960) autant qu’à la Mort aux trousses (1959) puisqu’un homme anonyme (nom sans visage), un champ de maïs et l’incompréhension de la menace sont des indices présents sur l’affiche.

 

 




 
La même logique publicitaire (au discours double) est employée pour les films suivants : le Village (2004) est d’abord annoncé par de mystérieuses règles (à valeur des 10 Commandements), des mains anonymes et un flou voulu… On en retiendra les idées premières de religiosité, de secte ou de pratique occulte nocturne (nuit, éclipse du titre et jeu sur le nom « night »), de danger latent (griffures rouges et rapidité d’un geste) pour un film une nouvelle fois vendu comme film d’horreur, bande annonce et site internet dédié à l’appui. Le second poster teaser, en appuyant le côté sectaire et menaçant (porte barrée d’un trait rouge et référence à l’épisode des 10 plaies d’Egypte (voir le passage de l’Exode :
http://www.la-bible.net/article.php?refart=moisetxt4)) nous fait oublier par ailleurs l’aspect historique et politique en arrière-plan (porte datée et pratique séculaire emprunte de superstition)… 

  




  Seule l’affiche finale dévoile son sujet, du point de vue d’un spectateur extérieur (secondé  par un personnage-mystère visible ou pas sur l’affiche, selon le côté de l'Atlantique où l'on se trouve !) sur le fameux village du titre. On constatera que par définition « nous » ne respectons pas les règles prescrites puisqu’en dehors des limites imposées (l’orée des bois), et que « nous » nous plaçons donc dans le camp des observateurs et ennemis potentiels de la communauté ciblée, celle-ci vivant visiblement en autarcie, que ce soit de manière libre ou imposée (le village du Club Méditerranée ou celui de la série Le prisonnier…). On pourra enfin, en faisant une filiation avec le design de l’affiche de Signes (mêmes couleurs prédominantes, même parcours du regard, même absence de visages d’acteurs), préciser que le sujet est…le même : dialogue entre foi et superstition, croyance et savoir, être et paraitre, liberté individuelle et volonté de la communauté.

 




 
  La jeune fille de l’eau
(Lady in the water - 2006) est plus directement du ressort de l’imaginaire et du fantastique, voir du conte, comme l’illustre l’affiche internationale (studio Mojo LLC.). Le poster teaser était cependant continuateur des campagnes précédentes : mystère latent (qu’y a-t-il au juste derrière la porte ?), parcours du regard et titre référent (quelque part entre la Dame du Lac des légendes arthuriennes et la « lady de Winter » mystérieuse du roman Rebecca (1938) de Daphné du Maurier). L’accroche ponctuait le visuel de l’univers du merveilleux, offert sous forme de puzzle dans l’affiche finale, autour du visage même de l’étrange… « Faut-il croire aux légendes ? » nous dit en suspens la promotion du film.

  





 
  Phénomènes
nous livre encore en 2008 une magnifique affiche (design du studio The Ant Farm (autres designs : Shrek, Seigneur des Anneaux, King Kong)), qui semble une nouvelle fois très bien résumer le film à condition de bien la "lire" : références ouvertes aux visuels et films précédents (triple accroche reprise), par une ligne de fuite désolée, mystérieuse et inquiétante, qui ouvre sur le Fantastique, l'Epouvante et le film catastrophe. Une famille au centre de la tragédie narrée comme microcosme de l'humanité, mais rien ne semble s'en rapprocher : voitures de toutes époques, ou plutôt de toutes les sphères sociales, aucune présence humaine et ciel menaçant. Beaucoup de questions donc, à commencer par la question de la disparition liée à l'événement : c'est arrivé (« The Happening » est le titre originel), mais quoi ? Jeu de regard -faussé- avec le spectateur, qui a priori devient incidemment le seul survivant capable de raconter l'événement, et donc de raconter SA vérité. Attention aux fausses pistes : la menace ou la panique sont-elles réelles, ou alors y a t'il double sens, comme celui des voitures curieusement disposées... Conte ou réalité ? Retournement de situation inexplicable (voiture renversée mais pas d'accident réellement visible, ni même de destruction(s)). Alors : rumeur, paranoïa, ou vraie fin du monde ? Seul le film, enfin décodé et gérant de ses propres indices, nous en fournira réellement toutes les clés.

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