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5 juin 2008 4 05 /06 /juin /2008 17:45

2.     Un espace iconique comme synthèse de l’Histoire

 

 Challenge permanent de l’affiche de film que de résumer un ensemble complexe (une période historique, ses figures et leurs actes) en un espace relativement réduit, se devant pour chaque œuvre de « vendre » l’attrait soit didactique soit « grand spectacle » (que ce soit par les scènes ou la pléiade d’acteurs annoncées). Il faut donc que chaque période soit réduite à quelques symboles évidents, outres les couleurs et typographies choisies : objets militaires (l’épée pour l’Antiquité ou le Moyen Age, le casque pour la période contemporaine), lieux référents (temple, château, forêt/jungle, ville détruite), costumes et décors (tuniques ou corset victorien, navire du XVIIIème siècle ou site archéologique) et mots clés divers (noms connus, dates précises, expressions et mots historiques). Cette véritable synthèse agit de manière remarquable sur les affiches des plus récents films de guerre (voir l’analyse sur ce blog : http://cine-l-affiche-en-plein-coeur.over-blog.fr/article-18469545.html), là où une silhouette militaire suffit dramatiquement  à évoquer toute la Deuxième Guerre Mondiale, entre ombres, brumes et brouillards. La mort, la cruauté des combats et la mémoire des victimes de guerre y sont omniprésentes, toutes illustrées par un casque abandonné, comme vidé d’une substance qui était l’âme - perdue - du combattant (voir les visuels du Jour le plus long (K. Annakin - 1962), et de Full Metal Jacket (S. Kubrick - 1987).



  

  La fiction patrimoniale à la française demeure relativement éloignée de ce constat : car le film, qui est le plus souvent lui-même une adaptation d’un roman historique, transpose à la fois la figure de l’Histoire et le héros littéraire, la reconstitution minutieuse un brin nostalgique et l’esthétisation plus ou moins spectaculaire, le réel et le fictif. Passerelle entre les médias, l’affiche se réaffirme ainsi comme nouvelle couverture du roman, l’acteur se substitue au héros et le réalisateur remplace le lecteur, faisant lui-même défiler un album d’images supposées communes et marquantes. Ces images récurrentes, ce sont par exemple et pour les seules années 1980-1990, le soleil sur les villages de Provence (Jean de Florette et Manon des Sources de C. Berri - 1986), des personnages en ombres chinoises  (Indochine  de R. Wargnier (1992), Monsieur N, Le Hussard sur le toit de J.P. Rappeneau (1995)), des foules révolutionnaires (Germinal - C. Berri - 1993) et une sombre esthétique Romantique,  affirmée en permanence sur nombre d’affiches quelle que soit la période (intra ou hors XIXème siècle) dans laquelle vient se situer l’œuvre (Le Bossu (Ph. de Broca - 1997), Cyrano de Bergerac (J. P. Rappeneau - 1990), Madame Bovary (C. Chabrol - 1991)). Visuellement et scénaristiquement, sur nombre de ces visuels, l'Histoire est en marche...

 















  La lecture de codes signifiants pour le spectateur engage une procédure de la reconnaissance située entre l’ancien (l’imagerie d’Epinal, les  symboles et valeurs francophones, etc.) et le nouveau (le jeu des acteurs, les moyens techniques et l’esthétique apportée par chaque génération de films). On en conclurait faussement que, sur ce simple rapport entre la forme et le fond, l’affiche de film historique simule un amalgame iconique entre l’image et le texte, devenu le prétexte éventuel au détournement et à l’interprétation approximative : ce serait méconnaitre l’aspect didactique de bien des œuvres et confondre « relecture » avec « synthèse ». Pour prendre un exemple sensible récent, comment aborder la question de la colonisation, notamment sur le territoire américain, située entre génocide des peuples indigènes et valorisation d’un parcours humain ? Comment parler de Christophe Colomb, du Nouveau Monde ou des colons pionniers sans réduire l’humanité au blanc conquérant ni retomber dans l’archaïsme raciste des anciens Westerns consistant à opposer blancs valeureux et fourbes indiens ? Que montrer, par conséquent, sur l’affiche qui ne soit pas « politiquement incorrect », sans être pour autant une déformation naïve et neutre de l’Histoire ?

  L’affiche, en adoptant un point de vue, peut répondre partiellement à cette difficile question : ainsi, si l’on compare les visuels de Mission (R. Joffé - 1986), 1492, Christophe Colomb (R. Scott - 1992), Le dernier des Mohicans (M. Mann - 1992), Pocahontas (M. Gabriel et E. Goldberg - 1995) et Le Nouveau Monde (T. Mallick - 2005), on appréhendera des films à la fois forts différents et forts semblables. Les grandes ressemblances (paysage de jungle d’Amérique du Sud, couleurs  terres et ocres,  archétypes du conquistador et de l’indien amazonien ou caribéen, galions ou caravelles) et  les quelques particularités (titre énigmatique, frontalité des visages ou vue éloignée, brouillard humide) de chacun des visuels font penser qu’un même scénario (la découverte d’une autre culture) peut être illustré certes différemment mais à condition de respecter une charte visuelle rigoureuse (dans cet exemple, difficile de se passer du paysage de jungle ou de la figure de l’Indigène).

 









 






  L’image doit se faire texte, et « raconter » un récit extirpé à la fois de l’imaginaire et des connaissances du spectateur : c’est une synthèse de l’Histoire « à degrés » puisque l’image doit conduire au temps et la temporalité au fait (l’Indien - 1492 - la conquête des Amériques ou du « Nouveau Monde »). Ces degrés sont à l’évidence délivrés sous forme de clés (une image précise, un nom, une date, un symbole, une icone) permettant au lecteur spectateur lambda d’avancer dans le jeu du déchiffrement de manière relativement évidente. On n’évoquera ici rien de bien novateur dans le contexte publicitaire étudié par les sémiologues et sémioticiens (voir Roland Barthes, Umberto Eco, …) mais il s’applique surement à certains genres filmiques plus que d’autres (la Science Fiction, le Film de guerre et le film historique). Du reste et assez curieusement, il y a surement plus à « récréer » pour l’affiche de film historique que pour d’autres genres, puisque ce dernier nécessite de faire appel à plusieurs détails liés du réel, et qu’il requiert donc également une somme de connaissances plus élevées de la part du spectateur. Cette mécanique mémorielle, investie par et pour l’affiche, coïncide avec une véritable lecture de l’Image autour des notions de réalisme, d’imaginaire, de conscience collective et ou de réinterprétation : plus encore, la temporalité narrative s’y exprime sur un espace réduit puisque si l’affiche cherche à raconter le film, elle exprime surtout, dans et hors son cadre, cette autre lecture qu’est la synthèse de l’Histoire évoquée précédemment. On ne sera donc pas étonné, pour les tentatives les plus réussies, de voir l’objet graphique et/ou filmique se substituer à l’objet historique, et de passer au degré supérieur de référence : c’est le cas pour quelques films pionniers du Cinéma comme le Cuirassé Potemkine (S. Eisenstein - 1925) tout autant que pour les affiches des Temps Modernes (C. Chaplin - 1936, la Grande Illusion (J Renoir - 1937), Ben Hur (W Wyler - 1959), Barry Lyndon (S. Kubrick - 1975) ou la Liste de Schindler (S. Spielberg - 1993), toutes régulièrement reprises par les manuels scolaires d’Histoire.


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