Chapitre 8
Lecture d'affiches thématiques
Sommaire :
· 1. Une certaine image de l'enfance
· 2. De nouvelles peintures de guerres
· 3. En quête du Policier...
· 4. Une expérience graphique
· 5. A la page : des affiches pages d'écriture
· 6. Vagues en vogue
· 7. Galerie des places
· 8. Le dernier mot...
· 9. Colorisation ?
...
La notion de lecture d’affiche est liée à celle de la lecture de l’image : il s’agit de comprendre la valeur idéologique et mythologique comprise dans cet objet de signification qu'est l’affiche de film. Quels sont l’ensemble des signes ou signaux qui peuvent concourir à donner au spectateur une conception particulière et globale à la fois du produit vanté ?
Cette thématique parcourt l’ensemble des chapitres de la présence étude de ce blog, mais il a semblé important, à travers quelques exemples, de voir comment ce décryptage d’images pouvait être re-construit par le sujet analysant, entre dénotation et connotation. Sans proposer un pourtant nécessaire parcours rigoureux d’analyse sémiologique et surtout sémiotique, on conviendra d’une approche en étapes logiques : analyse du cadre, de la composition, de l’esthétique et des couleurs, de l’échelle des plans et des référents éventuels. Voici un choix de thématiques actuelles...
1. Une certaine image de l’enfance
Si l’on compare certaines affiches de productions récentes ayant « montré » l’enfance au cinéma, comme Les Choristes (C. Barratier - 2004) ou Oliver Twist (R. Polanski - 2005) on constatera immédiatement le grand écart lié aux histoires de chaque film : d’un côté une histoire de groupe tendant vers le conte social, s’appuyant sur des acteurs connus pour un histoire originale, de l’autre un héros solitaire issu de la littérature classique anglo-saxonne, mais incarné par un inconnu au sein d’un drame social historique. Des points communs cependant : dans les deux univers, l’innocence et la comédie semblent affronter la réalité du quotidien et la sévérité du monde adulte.
On sait que le scénario des Choristes fut une réécriture du film La cage aux rossignols de Jean Dréville en 1945, avec l’acteur Noël-Noël en tête d’affiche. La création graphique originelle, lyrique et poétique, se retrouve en partie dans l’affiche contemporaine, au coté humoristique plus appuyé derrière une nostalgie faussement « bonne enfant ». Il est frappant de voir l’évolution entre la première affiche des Choristes, focalisée sur Gérard Jugnot et avec une accroche longuement explicative, et l’affiche définitive, beaucoup plus travaillée et recentrée sur le sujet du film : les enfants. Surtout, cette seconde version nous donne quantités d’informations : une époque (l’année 1948-1949, indication donnée par l’ardoise inversée), un lieu (un internat au nom significatif, le « Fond de l’Étang »), une situation de crise potentielle entre enfants et adultes et un moyen de remédiation (la musique). Tout ceci est résumé par la photo de classe à l’ancienne dont le spectateur est à la fois le complice amusé, l’ancien écolier et… le photographe même, puisque certains détails restent à « accorder » comme l’attention des enfants ou la position de l’ardoise au premier plan. Le titre du film est adroitement fondu dans ce faux paysage. La foi est de mise puisque c’est en traçant une croix entre les adultes que l’on découvrira le vrai héros du film : Pierre Morhange. Ceci nous permettra de dire que la photo de classe disparaît déjà au profit de la composition de la chorale, véritable lumière et source d’inspiration nouvelle au cœur des ténèbres de cet internat de rééducation, comme en témoigne la lumière de l ‘arrière plan.
Les affiches d’Oliver Twist témoignent de trois réalités complémentaires : un spectacle issu de la Littérature jeunesse classique (préaffiche, avec ses ombres chinoises qui évoquent aussi Pinocchio), une fresque historique (proximité cette fois ci avec le Gavroche des Misérables) et un conte socialisant (quelque part entre Le Petit Poucet et Tom Sawyer). Le contexte londonien est décrit assez différemment également : inexistant sur la pré affiche si ce n’est de par le titre du film, il devient par la suite nocturne et menaçant avec un étrange côté vénitien qui s’avère toutefois synchrone avec la noirceur des codes dickensiens. Enfin montré en plein jour, il n’est pourtant à nouveau qu’un décor flou et fuyant peu chaleureux pour l’enfant qui y chercherait refuge et chaleur : les pavés comme les eaux noires de l’affiche précédente n’ont rien d’apaisants, et contextualisent tour à tour discrètement tout un univers d’images sordides lié au Roman social du 19ème siècle, entre ombre et lumière. Inspirée graphiquement de l’affiche de Hope and Glory (J. Boorman - 1986), celle d’Oliver Twist en restitue aussi l’espoir d’un monde meilleur, finalité de cette fuite en avant d’une enfance perdue.
2. De nouvelles peintures de guerre?
Valeurs clés hollywoodiennes par excellence, les notions de patriotisme, de courage et de fierté se retrouvèrent naturellement à l’affiche de films réalisés par des studios réellement impliqués dans les différents conflits du 20ème siècle. Qu’ils soient fictionnels ou documentaires, critiques ou propagandistes, édulcorés ou réalistes, les regards jetés sur la guerre au cinéma auront pu assez difficilement se passer de toute une imagerie martiale que l’on qualifiera de « loi du genre » : drapeaux et uniformes, armes et champs de bataille, héros de guerre et soldats inconnus. Quelques affiches récentes sont toutefois arrivées à contourner ces contraintes visuelles, notamment en tentant une approche pédagogique…
Ainsi, sur le seul thème de la Seconde Guerre Mondiale, comparons les affiches des productions les plus récentes : Il faut sauver le soldat Ryan (S. Spielberg - 1998), La Ligne Rouge (T. Mallick - 1998), Stalingrad (J.J. Annaud - 2001), Pearl Harbor (M. Bay - 2001), Windtalkers, les messagers du vent (J. Woo - 2002) et Mémoires de nos Pères (Cl. Eastwood - 2006).
Première constatation d’ensemble : une certaine unité entre ces différentes productions : visages marqués, jeu des silhouettes, arrière plan de nuages ou fumées menaçantes, titres en blanc et couleurs terreuses. Le drapeau américain est quasi inexistant, de même que tout vaste champ de bataille. L’agence américaine BLT & Associates signe les designs du Soldat Ryan, de La Ligne rouge et de Stalingrad, ce qui peut expliquer une approche voisine. Le marketing de Windtalkers est dû à l’agence Diane Reynolds-Nash (signataire des campagnes James Bond de 1997 à 2002), celui de Pearl Harbor à Bernis Balkind (marketing de Alien, Forrest Gump ou Sixième Sens) tandis que celui de Mémoires de nos pères est créé par The Cimarron Group (auquel on doit aussi, entre autres, les campagnes d’affichage de Terminator 2, Gladiator, Troy ou Superman Returns). Le regard actuel sur le genre classique qu’était le « film de guerre » joue à l’évidence sur un double rapport : rappel des films et affiches traditionnelle d’une part (voir page suivante quelques exemples) et volonté pédagogique de l’autre. C’est ce regard éducatif qui fait toute la différence entre une affiche de propagande et une affiche de film engagé : depuis la fin des années 1970 et les films sur la Guerre du Viet-Nam essentiellement, la guerre est destructrice, sale et politiquement fasciste. Tout film récent sur le sujet est donc un drame et un plaidoyer pacifiste, ce qui n’enlève rien à un caractère martial ou proaméricain souvent affirmé. Le jeu de regard entre acteurs et spectateurs, anciennes connivences de fait, se déroule sur un terrain balisé depuis l’apogée du genre, vers 1979, là où le film de guerre était encore prétexte au déploiement artistique, logistique et financier de quantités de stars, de scènes épiques pyrotechniques et de morts héroïques… Tout cela étant bien sur vanté dès l’affichage, souvent spectaculaire : voir par exemple les visuels de Le pont de la rivière Kwaï (D. Lean - 1957), Les canons de Navarone (J. Lee Thompson - 1961), Le jour le plus long (K Annakin - 1962), La grande évasion (J. Sturges - 1963), Tora ! Tora ! Tora ! (R. Fleischer - 1970), Midway (J. Smight - 1976) ou Un pont trop loin (R. Attenborough - 1977). La conception traditionnelle de l’affiche de film de genre, parfaitement traduite par l’artiste français Jean Mascii dans l’affiche de Quand les aigles attaquent (B. G. Hutton - 1969), et vendu alors comme un film d’aventure-action populaire, s’est aujourd’hui dissoute dans une approche beaucoup plus réaliste et intellectuelle du sujet, quelque part entre volonté artistique et devoir de mémoire.
L’affiche comme le titre du récent Mémoires de nos pères (2006) de Clint Eastwood table aisément sur un design qui est justement repris au cœur du film : l’évocation de l’Histoire, grande et petite, en en particulier celle de la célèbre photographie Raisng the Flag de Joe Rosenthal (voir ci-dessous : 5 Marines et un infirmier de la Navy hissant le drapeau américain sur l’ile japonaise d’Iwo Jima le 23 Février 1945), qui inspira déjà des milliers d’illustrations et le monument réalisé en 1954 au cimetière d’Arlington en Virginie. L’affiche de film, qui est perpétuellement ce croisement entre mythe, mythologie, histoire et réalité, trouve une forme d’aboutissement quasi évident ici : résumé de l’Histoire et symbole mondial, elle Est le film, en une forme d’absolu visuel.